Fêtes, Jeux, Sports et politique à Carpentras à la fin du XIX° siècle.

De la chute du second empire à la guerre de 1914, le parti conservateur ne put jamais conquérir le pouvoir municipal à Carpentras, et pourtant durant toute cette période il sut peser sur les décisions locales et en particulier dans le domaine sportif. Cette époque d’intenses luttes politiques fut aussi une période fondatrice pour le sport français … et pour le couple chaotique, mais désormais indissociable, du sport et du pouvoir municipal. Et nous allons voir aussi que ce que nous appelons aujourd’hui le « sport-spectacle » n’a rien  d’une invention récente.

Les exercices physiques à Carpentras vers 1870.

La défaite de 1870 eut des répercussions déterminantes sur les structures d’encadrement et de formation de la jeunesse. Mais ces bouleversements ne furent pas immédiats. La fondation des innombrables sociétés « conscriptives » (Tir, Gymnastique et Préparation Militaire) qui couvriront en 1914 tout le territoire français et celle des « bataillons scolaires » ne survinrent que dans un second temps. Dans la décennie qui suivit le désastre de 1870 une sorte d’accablement avait saisi la société française et il ne fut guère question d’encadrer la jeunesse et de la préparer à la Revanche. C’est en tous cas l’avis de P.Arnaud pour qui  « l’état de prostration qui a suivi la défaite de 1870 a retardé la mobilisation des populations autour des pratiques conscriptives. Il faudra attendre l’arrivée définitive des républicains au pouvoir, en 1879, pour que les exhortations de Gambetta soient entendues». De ce point de vue Carpentras ne se distingua pas du reste de la France.

La gymnastique à Carpentras et à Pernes.

Cependant, et avant même la fin du second empire, les communes avaient quelques obligations en matière d’éducation physique de la jeunesse. Le décret de Victor Duruy de1869 avait rendu la gymnastique et les exercices physiques obligatoire dans les écoles primaires françaises et Carpentras, contrairement à une grande majorité de communes, s’était conformé sans trop rechigner à ce décret. Le conseil municipal avait voté un crédit de 600F pour l’établissement d’un gymnase qui puisse « servir aux élèves des écoles communales et même au public, sans que la discipline du collège puisse être troublée ».

Bâti à proximité immédiate du collège de garçon, ce gymnase initialement prévu pour l’enseignement des écoliers du primaire public fut aussi ouvert à l’école des Frères et aux collégiens du secondaire. Pour assurer cette nouvelle mission le conseil municipal décida de créer une « chaire d’éducation physique » et d’embaucher un professeur. Son salaire fut l’objet d’âpres discussions et fixé à seulement 300F annuels ce qui était notoirement insuffisant. De son côté l’Etat, manifestement satisfait du zèle des carpentrassiens, consentit une subvention annuelle très importante ( 1500F pour : la construction et le fonctionnement du gymnase, le salaire du professeur de gymnastique et l’amélioration du salaire des autres enseignants). 

à Carpentras le conseil municipal décida donc de porter à 1000F le salaire annuel de M.Mouyade le professeur de gymnastique, ce qui à ses yeux était encore insuffisant bien qu’étant, tout de même, le double de ce que percevait le professeur de dessin et beaucoup plus que les 600F de l’aumônier, les 400 du rabbin et les 300 du professeur de musique.

En 1872 l’enseignement de la gymnastique devint obligatoire dans toutes les écoles publiques françaises même rurales et si Carpentras avait été précurseur en la matière, les villages limitrophes comme Pernes, par exemple, durent suivre le mouvement. Sans excès d’enthousiasme le conseil municipal de Pernes décida que la cour de l’école serait suffisante pour cet enseignement et qu’on pourrait y installer commodément le matériel nécessaire que le maire avait fait estimer par devis à 232F. Le financement de l’opération n’était pas le seul problème des Pernois. L’école primaire n’avait qu’un instituteur; Fallait-il qu’il abandonne momentanément ses taches habituelles ou bien que l’on embauche un instituteur adjoint chargé du seul enseignement de la gymnastique ? Le Conseil décida de consacrer 149,98F à cette seconde solution. 

Notons en passant que les raisons qui firent que le conseil municipal de Pernes adhéra volontiers à la circulaire de 1872 ne furent pas inspirées, du moins pas directement,  par la défaite de 1870 et un devoir patriotique, mais parce que «  l’enseignement de la gymnastique a pour but l’éducation physique et tends à généraliser la force, la santé, et la moralité des jeunes générations  ».

 Les « sports » en 1870.

Y avait-il alors à Carpentras des activités «sportives»? Peut-être pas avec une grille de lecture moderne. Mais de nombreux jeux pré-sportifs y étaient pratiqués. Il s’agissait de jeux plus ou moins « athlétiques » déjà très anciens et fort populaires qui se pratiquaient régulièrement dans les fêtes votives de tous les villages provençaux. Les trois sauts, la lutte et la course étaient de presque toutes les fêtes et leur caractère sportif ne fit jamais de doute pour personne, à commencer par P. de Coubertin qui les inscrivit au programme de ses premiers Jeux Olympiques. 

 Un deuxième grand sport avait déjà fait une apparition tonitruante à Carpentras. Le Cercle des Vélocipédistes Carpentrassiens avait organisé en Mars 1869 une des premières grandes courses de vélocipèdes françaises.

Et il ne faudrait pas oublier le Turf. Même si à notre époque on considère que lors des courses de chevaux c’est surtout le cheval qui fait du sport, il nous a paru légitime de placer les courses hippiques dans le champ de cette étude; quand ce ne serait que parce que, sans elles,  le mot sport n’aurait peut-être pas été introduit dans notre vocabulaire. Souvenons nous de la définition du mot sport qu’Emile Littré donnait dans son dictionnaire de 1869: « Mot anglais employé pour désigner tout exercice en plein air, tels que courses de chevaux, canotage, chasse à courre, à tir, pêche, tir à l’arc, gymnastique, escrime, etc. En France on confond souvent le sport et le turf; mais le turf n’est qu’une sorte de sport. ».  Et puis nous allons voir que les rapports souvent conflictuel que la société hippique entretint avec le pouvoir municipal eurent des incidences indirectes sur le développement des sports carpentrassiens.

La société hippique et le pouvoir municipal.

Il est pratiquement impossible de dater l’apparition des premières courses de chevaux à Carpentras tant la pratique en paraît ancienne. Nous n’essaieront donc pas de le faire ici. Nous nous intéresseront seulement à leur aspect social et aux rapports de la société hippique avec les différentes municipalités de la fin du XIX° siècle.

Des courses de chevaux avaient lieu chaque année au mois de Juillet lors de la fête patronale de Notre-Dame de Santé. Une commission ad hoc, nommée par le conseil municipal, était chargé de leur organisation. Cette organisation routinière changea assez brusquement en 1864. 

Jusque là les affiches annonçant ces courses étaient à l’en tête de la Mairie de Carpentras et signées du maire, les  frais (choix du champ de course, construction de tribunes, prix distribués)  étaient à la charge directe de la ville. La dépense consentie par la ville pour l’organisation des festivités apparaissaient dans une seule ligne du budget primitif où elles n’étaient pas détaillées. 

Mais en 1864 une société hippique fut crée à l’initiative de L.Fabre, directeur de la ferme-école du département (située à Carpentras). La présidence en fut donnée au général Buisson d’Armandy. Cette société qui avait choisi un nom assez pompeux ( Société hippique et zoologique du département de Vaucluse) avait de grandes ambitions: « Il ne s’agit pas d’organiser comme d’habitude un pur spectacle de curiosité, porté au programme de notre fête patronale au même titre que le feu d’artifice ». L.Fabre voulait créer une société indépendante du pouvoir municipal et disposant d’un calendrier propre (ses statuts précisaient notamment que d’autres réunions de courses seraient organisées à d’autres dates que celles de la fête votive).

La première manifestation organisée par la société hippique et zoologique de Vaucluse

Dés lors, les différentes municipalités carpentrassiennes firent grand cas de la « société hippique » acceptant régulièrement de la subventionner largement et sans commune mesure avec la dotation des autres associations carpentrassiennes. 

Pourquoi une telle sollicitude ? Il y avait probablement des raisons politiques assez « machiavéliques ». On l’a dit les municipalités de la période 1870 -1914 furent toujours républicaines et, à l’opposé, la société hippique comptait beaucoup de conservateurs dans son comité. Ne pas mécontenter cette puissante coterie en lui laissant un espace où s’affirmer, tout en restant pour l’essentiel sous la dépendance financière du conseil municipal et du du bon vouloir du Maire, a certainement paru assez habile aux yeux des édiles carpentrassiens. 

Quoiqu’il en soit, aucune des municipalités carpentrassiennes ne réduisit la subvention de la société hippique qui, jusqu’en 1914, ne descendit jamais au dessous de 1000F par an. Les dépenses municipales et les subventions allaient d’ailleurs régulièrement bien au delà de cette somme. L’entretien de l’hippodrome en particulier, couta souvent fort cher à la ville qui l’eu toujours à sa charge. Ainsi en 1878 la municipalité de Cyprien Poujade (maire républicain et anticlérical farouche) engagea 3747F pour agrandir les terrains de l’hippodrome. 

Deux ans plus tard, sous la même municipalité la Société Hippique demanda 100F en sus de sa subvention habituelle pour se charger de l’entretien des pistes. Un conseiller fit remarquer qu’un accord avec la ville avait déjà concédé l’usage et l’entretien de l’hippodrome à la société hippique et que cette subvention n’avait donc pas lieu d’être. La remarque fut inscrite sur le cahier des délibérations mais resta lettre morte … et la subvention fut votée. 

En 1885 Eugène Guérin (maire Républicain Modéré) dut gérer une situation conflictuelle crée par la demande du Cercle des Sports qui aurait voulu lui aussi organiser des courses sur l’hippodrome de St. Ponchon et demanda une subvention de 500F. Très diplomatiquement E.Guérin donna son autorisation et fit voter la subvention, mais à la condition que  la société « ordinairement chargée de l’organisation des courses dans notre ville » reçoive la moitié des bénéfices.

On peut supposer que cette habile diplomatie républicaine et ces égards consenties à une association contrôlée par les conservateurs et les royalistes, devait être justifiée et qu’il fallait donner au public (et aux électeurs)  des arguments un peu plus présentables. 

La municipalité utilisait alors un argument imparable. Avec les courses se présentait une des rares occasions d’attirer des « étrangers » dans notre ville. 

Malgré toutes ces attentions les courses carpentrassiennes ne semble pas avoir été particulièrement brillantes. Il y eut quelques exceptions: en 1893 la réunion de printemps connut une réussite inhabituelle, la recette de 3 300F battit des records et le bilan fut, pour une fois, bénéficiaire. 

Ce fut alors l’occasion pour le chroniqueur du « Mont Ventoux », modérant l’enthousiasme des organisateurs, de faire cette remarque désabusée  :   « notre hippodrome perd sa mauvaise réputation d’autrefois et attire dans son enceinte cette masse qu’on ne remarquait qu’à Cavaillon et à Avignon »

Un sport populaire: «courir les joies»

On vient de le voir les édiles municipaux manipulaient avec beaucoup de précautions les distractions des notables. Mais ils n’abandonnaient pas pour autant les fêtes traditionnelles, principales distractions, de la grande masse des Carpentrassiens.

La fête patronale de Notre Dame de Santé était la grande fête de l’été carpentrassien et la ville y consacrait chaque année un budget important. 

Son succès populaires était en partie du au fait que comme dans le reste de la Provence on y « courait les joies ».  Nous avons complètement perdu l’usage de cette terminologie locale qui est devenue un peu mystérieuse. Pourtant le mystère n’est pas grand « les Joies » étaient simplement les prix que l’on gagnait aux différents concours organisés lors de la fête votive. (Lire: LS.Fournier, Courir, sauter, lutter. Jeux et réjouissance profanes des fêtes provençales dans:  Récits de fêtes en Provence au XIX° siècle, SilvanaEditoriale, 2010)

Avant l’invention des sports modernes les jeux des fêtes foraines occupaient presque tout le champ des activités physiques.  La «saison sportive», si on veut bien excuser cet anachronisme, était rythmée par la succession des fêtes de villages qui suivaient un calendrier immuable. 

De juin à la fin septembre il n’y avait pas de semaine sans fête votive dans l’un ou l’autre des villages autour de Carpentras.  

Chaque village avait ses particularités. À Carpentras les organisateurs ajoutait à un programme fixe  avec feux d’artifices, bals et concerts, un concours à caractère sportif qui variait chaque année. Il s’agissait très souvent de concours de lutte avec des prix importants (100F), d’escrime (250F) ou encore de Tir (200F). Bien entendu ces sommes étaient intégrées au budget général de la fête.

A côté de ces concours officiels de nombreux jeux, beaucoup moins bien dotés, étaient pratiqués lors de la fête du mois de Juillet, mais malheureusement, nous ne savons pas lesquels. Le programme officiel, publié dans les journaux locaux et sur les affiches, annonçait sans plus de détails « Pendant toute la fête jeux et divertissements divers sur la promenade des platanes». Il est probable que les amateurs concernés savaient à quoi s’attendre. 

Si la commission carpentrassienne traitait de haut ces jeux populaires il n’en étaient pas de même dans les villages alentours qui, quelques fois, prenaient la peine de détailler leur programme. 

Ainsi à Althen-les-paluds pour la fête de la mi-Aout 1893, on pouvait participer à quelques jeux authentiquement athlétiques, mêlés à des concours simplement destinés à la distraction du public (course des hommes, course des enfants, trois sauts, étrangle-chat, concours de boules, jeux de la cruche, concours de grimaces, course en sac). Et à Venasque la même année : course des hommes, des enfants et des grand-pères. À Carpentras les fêtes de quartier avaient probablement des programmes à peu prés semblables à ceux des fêtes votives villageoises. Hélas, les organisateurs de ces petites fêtes ne disposaient pas de budgets très importants (la valeur des prix distribués était de l’ordre de quelques francs) et ne prenaient pas la peine de les annoncer dans la presse. On sait toutefois par une affiche de 1865 qu’à la fête Carpentrassienne du quartier du moulin à vent, il y avait une course d’hommes où l’on pouvait gagner une écharpe, comme lors de la course de Nimes glorifiée par Frédéric Mistral dans le chant premier de Mireille, ainsi qu’un concours de lutte pour les demi-hommes (les adolescents) dont le prix était une montre en argent.

c) Les courses cyclistes et les sociétés conscriptives

En 1886 le paysage sportif carpentrassien subit de profonds changements. 

Le Cercle de la Cigale organisa des courses cyclistes le 18 Juillet 1889 à l’occasion de la fête votive. Le total des prix distribués était important (580F) et le public vint nombreux malgré des prix d’entrée relativement élevés (1F et 0,5F pour les dames et les enfants).

Programme des courses cyclistes de Septembre

Pour cette première manifestation le Cercle de la Cigale n’avait pas demandé de subvention. Mais il n’en fut pas de même pour les courses que le cercle, fort de son succès, organisa en Septembre de la même année. Cette réunion, qui eut donc lieu en dehors de tout contexte festif, s’annonçait comme plus importante que la première puisqu’il elle était dotée de  880F de prix et que l’on y disputait un championnat de Vaucluse. Le cercle sollicita une subvention de 200F qui fut acceptée. Les motifs avancés pour justifier ce vote ne sont pas surprenants  : « considérant que l’organisation de courses de vélocipèdes attirera certainement à Carpentras un grand concours de population et sera par conséquent une source de profits pour ses habitants ». 

Observons donc que la subvention fut accordée pour l’intérêt économique potentiel de la manifestation sans qu’on mette en avant d’autre mérite que ces vertus potentiellement spectaculaires et indirectement commerciales. Les premières manifestations carpentrassiennes authentiquement sportives furent donc perçues par le pouvoir municipal comme un spectacle banal au même titre qu’un bal ou un feu d’artifice et ne méritèrent d’encouragements que dans la stricte mesure de leur capacité à attiré un public étranger à la ville.

 Un fête républicaine en 1892

Le centenaire du rattachement du Comtat Venaissin à la France fut l’occasion d’organiser une grande fête. Alfred Michel, maire Radical et son conseil municipal entendait bien donner un maximum d’éclat à cette célébration d’un rattachement qui ne s’était pas fait sans troubles, en particulier à Carpentras, où le parti anti-français était alors très fort et préférait parler d’annexion. 

Toute les associations « sportives » carpentrassiennes y furent invitées. à commencer par l’Espérance Carpentrassienne, la toute nouvelle société de gymnastique (1889) qui fut sollicitée ainsi que la Société Hippique et le Véloce-Club. Cette cérémonie organisée loin du contexte religieux de la fête patronale de Notre Dame de Santé témoigna à Carpentras du profond changement que le « système sportif » (pour employer la terminologie que propose Sébastien Darbon) connut à la fin du XIX° siècle. Et, bien sur,  dans le Comtat Venaissin les préoccupations politiques et en particulier l’affirmation de la légitimité de la République, n’en étaient pas absentes.

Le Véloce-Club.

Les cyclistes se virent offrir une subvention de 200F pour organiser une journée de courses. Les allées des platanes, lieu habituel des manifestations vélocipédistes, n’étaient pas disponibles étant occupées par d’autres installations de la fête. Le Véloce Club essaya  pour l’occasion de transformer en vélodrome un terre-plein situé à la périphérie de la ville. L’installation ne devait pas être très commode car elle ne servit que deux fois. Nous n’avons pas trouvé de trace d’une quelconque contribution de la ville à la construction ou à l’équipement de ce vélodrome de fortune, ni dans le budget municipal ni dans la presse. Il est donc probable que le club en assuma seul la charge financière.

Notons au passage et sans nous en étonner que les budgets et les subventions que reçut la société hippique pour l’occasion étaient beaucoup plus importants. À la demande de la ville la société hippique avait organisé des courses exceptionnelles et avait obtenu 500F de subvention supplémentaire  puisque ces festivités n’était pas prévues dans le calendrier habituel de la société. La négociation avait été assez habilement conduite par la société hippique.  Elle proposait de construire des tribunes couvertes définitives à ses frais (5 500F environ avancés pour 15 ans par ses membres) si la ville lui accordait pendant 15 ans le privilège d’organiser des courses au moins deux fois par an, ce qui fut accepté par le conseil municipal.

La société conscriptive.

L’Espérance fit une modeste démonstration de gymnastique dans la cour du collège. C’était le fief de son moniteur général M.Mouyade, qui était depuis vingt ans le professeur de gymnastique du collège. La société fondée depuis deux ans à peine n’avait encore pas un effectif suffisant pour envisager des manifestations plus importantes.

Mais quelques années plus tard l’Espérance était capable de réaliser de véritables spectacles où les exercices qui deviendront plus tard les disciplines de la gymnastique sportive (anneaux, barres parallèles) et de l’haltérophilie, avaient la place d’honneur. En Mars 1895 l’Espérance choisit la scène du Théâtre Municipal pour faire une démonstration spectaculaire de son travail. 

Même chose en 1898 avec cette fois-ci un spectacle assuré en commun avec la «Philarmonique de Carpentras ». On y vit alterner l’ouverture de Melpomène avec un mouvement d’ensemble de L’Espérance, une «  Rêverie de mandoline  » avec une démonstration aux épées de combats des maitres d’armes de la société, et clou du spectacle, des «  poses plastiques  » par les membres de l’Espérance, après le duo de « Mignon ». 

1900: Irruption des sports à l’hippodrome.

Forte de son ancienneté et de ses relations privilégiées avec le pouvoir municipal, la Société Hippique se sentait chez elle à l’hippodrome de St Ponchon, un terrain qu’elle avait contribué à entretenir et où elle avait construit des tribunes à ses frais quatre ans plus tôt. Pourtant son hégémonie fut contestée lors de l’arrivée des nouveaux sports à Carpentras.

 D’abord en  1895 ce fut le Véloce  Club qui demanda à la Mairie l’autorisation d’établir un vélodrome sur le champ de course. On s’en doute, la réaction de la mairie fut extrêmement prudente: « le conseil municipal autorise le Maire à examiner s’il est possible de concilier les intérêts de la société hippique avec ceux du Véloce Club et de construire ce vélodrome sans nuire à l’éclat des courses et compromettre la sécurité publique ». Et il n’y eut pas de vélodrome à St Ponchon. 

Mais en Octobre 1902 des collégiens disputèrent sur le champ de course, le premier match de Football-Rugby de l’histoire locale. Le journaliste qui rédigea le court compte-rendu de ce match avait, semble-t-il, trouvé tout naturel le choix de ce terrain et en tous cas ne fit pas de remarque à propos de cette nouveauté pourtant « historique ». 

Pourquoi la ville avait-elle permis ce match sur ce terrain convoité et jusque là jalousement accaparé par la société hippique ? Il est possible qu’on ne lui ait tout simplement pas demandé d’autorisation officielle (rien ne figure dans les délibérations du conseil municipal), il est probable aussi que ces jeunes collégiens qui étaient certainement des « fils de bonnes familles », ne paraissaient pas très menaçants pour les forces politiques locales. 

D’autre par la ville venait encore une fois de consentir des frais très importants pour l’arrosage de la piste (6 000F) et ne se sentait certainement pas débitrice envers la société hippique.

Enfin le Maire (Léopold Pécoul, Radical) n’avait certainement plus envie de ménager la société hippique; le Marquis des Isnards, membre éminent de la société hippique, venant de franchir une limite en se présentant à la députation sous le drapeau de l’antidreyfusarde Patrie Française.

Après ces débuts discrets, les équipes de Football-Rugby se multiplièrent à Carpentras. En 1904 on pouvait compter deux équipes au Vélo Carpentrassien, une au Sporting-Club, une autre à l’Olympique, auxquelles il faut ajouter celle des collégiens qui continuaient leur parcours contre les équipes des établissements scolaires de la région.

Et tous les matchs se jouaient sur le terrain de St. Ponchon que la ville mettait gratuitement à la disposition de ces clubs éphémères. Nous ne disposons d’aucune image ni d’aucun récit nous permettant de savoir dans quelle partie de l’hippodrome se jouaient les matchs. Il est raisonnable de penser que c’était au milieu de la piste, où nous savons d’après les « traités » signés par la ville avec le fermier chargé de l’entretien, qu’il y avait une prairie arrosée et donc de l’herbe verte, ce qu’il devait être très difficile de trouver ailleurs à Carpentras. 

La ville n’avait probablement pas fait grand chose pour aménager ce terrain. Témoin ce communiqué de presse de 1910 qui signale au public du prochain match de Rugby qu’il devra « se tenir en dehors des fils de fer ». Si la ville avait fait quelques aménagements, ils n’avaient pas du lui couter bien cher !

Comme ailleurs les premiers matchs de ces pionniers n’attirèrent pas la foule et restèrent confidentiels. La presse locale ne donnait pas toujours les résultats des matchs, alors qu’elle consacrait des pages entières aux prestations de l’Espérance dans les rassemblements régionaux.

Mais petit à petit les spectateurs vinrent plus nombreux assurant à ce nouveau spectacle une part essentielle dans les loisirs des Carpentrassiens. Un nouveau pas fut franchi en 1910 où Carpentras-Sport avisa le public qu’il pouvait venir gratuitement assister aux entrainements, mais que les entrées étaient payantes pour les matchs contre les sociétés étrangères.

Pour le maire de Carpentras, tout se passa alors comme si un nouvel imprésario venait à son secours pour organiser les nouveaux spectacles dont elle avait précédemment la charge et qu’elle n’avait plus besoin de subventionner. L’arrivée des sports apparut alors comme une bonne affaire pour les finances de la ville. Nous savons aujourd’hui que ce soulagement fut de courte durée. 

Jean-François BRUN

NB: les affiches dont les reproductions illustrent cet article sont conservées à « L’Inguimbertine. Bibliothèque-Musée » de Carpentras




Mais à quoi jouait-on sur la place du Palais épiscopal en 1694 à Carpentras ?

En l’an de grâce 1694, Mgr. Buti, évêque de Carpentras, écrivit au Saint-Siège pour que soit interdit le jeu de ballon devant son Palais. Cette lettre découverte au Vatican par Claude Cochin fut publiée pour la première fois dans le compte-rendu de la 76e session du Congrès Archéologique de France tenue à Avignon en 1909-1. Elle a depuis été publiée à plusieurs reprises et notamment par Georges Brun dans « Jadis… Carpentras »-2. Cette lettre est précieuse à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle est riche d’enseignements sur les jeux de pouvoir dans le Comtat Venaissin de l’époque, ensuite et peut-être surtout – parce qu’elle est accompagnée d’un magnifique dessin (fig.1) représentant tous les édifices entourant la place du Palais.

Fig. 1 : Façade du palais épiscopal. Détail du dessin à la plume joint à la plainte de Mgr. Buti. On peut lire : Strada dové si giuca al’ Pallone. (Cliché G. Brun)

Cette requête épiscopale doit aussi une partie de son succès à ce qu’elle permet de plaisanteries au sujet des rapports que l’évêque voyait certainement d’un œil suspicieux,  entre les jeunes filles confiées à la garde des religieuses Ursulines, dont les fenêtres du couvent donnaient sur la place, et les jeunes et vigoureux Carpentrassiens qui y jouaient au ballon (fig. 2).

Fig. 2 : Les ‘spectatrices’ aux quatre fenêtres E du couvent des Ursulines. (Cliché G. Brun)

Examinons le passage de la lettre de Mgr. Buti où il signale ce que ces regards croisés pouvaient avoir d’inquiétants… du moins pour lui.  Claude Cochin en donne un résumé qui, à mon humble avis, prend quelques libertés avec la réalité du texte –3. Je le cite : « Les bonnes mœurs en souffrent aussi car quatre fenêtres du monastère donnent sur cette même rue  par là les religieuses et les jeunes filles confiées à leurs soins peuvent, non seulement entendre les paroles licencieuses, obscènes et sacrilèges des joueurs mais en outre les voir jouer presque entièrement dépouillés de vêtements » et il pourrait se faire – ajoute l’évêque en bon psychologue – « que la présence de telles spectatrices fût pour les joueurs la principale raison de rester en ce lieu ». Personnellement il me semble que C. Cochin va un peu loin car le passage qu’il cite ne dit pas tout à fait cela. Le voici dans la traduction que Maurice Cézilly en a donnée-4 : « …mais en outre les voir jouer à peu près entièrement dévêtus … et peut-être que ledit monastère donne au jeu son impulsion principale.» dont la dernière phrase paraît plus proche du texte en italien du 17e s. tel que publié comme pièce justificative en annexe de la communication de C. Cochin et que voici : e forsi potrebbe anco essere che detto monastero dasse il principale impulso di giucarsi.  Mais pour l’instant ne nous focalisons pas sur ces petits problèmes de traduction.

     Venons-en à mon sujet. Avec les luttes politiques au sein du petit état pontifical et l’étude du patrimoine architectural les érudits et les historiens avaient suffisamment de « grain à moudre » et ne se sont guère préoccupés des caractéristiques précises de ce jeu qui s’était attiré les foudres de Mgr. Buti et du Vice-Légat.

     Examinons d’abord ce que lui reproche l’évêque et essayons d’en tirer quelques lumières sur la nature de ce jeu fort encombrant.

     Primo, le jeu cause des dommages aux édifices :

D’abord à l’église des religieuses : « … au cours des années passées il arriva si souvent que le ballon entrât par la grande fenêtre de cette église, avec importants bris de vitres, qu’il fallut murer cette fenêtre principale, laquelle reste encore murée aujourd’hui, avec obscurité et détérioration sérieuse pour l’église... »

Le palais épiscopal n’est pas épargné. «…quatre ballons étaient déjà entrés dans les dites pièces épiscopales-5 en brisant chaque fois les vitres et en semant la confusion chez ceux qui étaient venus en audience »

     Au passage notons que lorsque le vicaire général fut envoyé prévenir les joueurs de cet incident il fut reçu par des bordées d’injures. Les joueurs « … avertit de façon courtoise par le Vicaire Général que quatre ballons étaient déjà entrés dans les dites pièces…. se laissèrent aller à des propos injurieux et à des menaces » ce qui nous renseigne indirectement sur l’autorité (ou plutôt le manque d’autorité) de l’évêque et aussi sur l’assurance des joueurs vraisemblablement persuadés d’être dans leur bon droit.

     Qu’est-ce que ce passage nous a appris sur le jeu lui-même ?

  S’agissait-il d’un jeu de ballon au pied (football pour parler en français). C’est peu probable, car il aurait fallu que les joueurs soient particulièrement maladroits pour envoyer aussi souvent le ballon si haut et avec autant de force-6. Si le dessin annexé est à la même échelle pour les côtés Est et Ouest une comparaison avec les 57m du palais épiscopal nous montre que la fenêtre de l’église du couvent  se situait à 15m. Un sacré coup de pied en effet. Ce ne serait certainement pas très difficile pour un footballeur moderne d’envoyer un ballon actuel à cette hauteur, mais les jeunes carpentrassiens ne disposaient certainement pas de ballons gonflés. La plupart des ballons joués au pied à cette époque étaient constitué d’une enveloppe de cuir cousu remplie de substance diverses-7. Dans son examen minutieux des jeux de balles au pied joués à différentes époques et sous tous les cieux, P. Villemus nous apprend que les anciens égyptiens utilisaient des balles en son recouvertes de peau et aussi des ballons fait de boyaux de chats attachés en forme de sphère. D’après cet auteur les spartiates auraient utilisé des ballons gonflés (des vessies de bœuf) pour jouer à l’epyskorios qui se pratiquait avec les pieds. Les Romains avaient plusieurs façons de fabriquer les ballons servant à l’Haspartum. On a retrouvé des balles en bois et des balles faites de cheveux et de linges cousus. Pour fabriquer des balles rebondissantes les romains utilisaient des vessies de porc ou de bœuf gonflées, mais aussi des éponges enveloppées de tissus ou entourées de cordes.

     Il existait probablement à la fin du 17e siècle quelques ballons gonflés en France mais ils étaient certainement couteux et fragiles, et seuls les gentilshommes de l’époque pouvaient se les offrir.

     Résumons ce que nous venons d’apprendre : les jeunes Carpentrassiens ne jouaient probablement pas avec les pieds car il est fort peu probable qu’ils aient pu envoyer aussi haut des ballons remplis de son ou avoir assez de force pour casser des vitres avec des ballons remplis d’étoffe.

     Il est donc permis de mettre en doute, soit la bonne foi de l’évêque (impensable…!) soit les caractéristiques attribuées jusqu’ici à ce jeu qui ne serait donc pas un ancêtre du football. C’est maintenant cette dernière hypothèse que nous allons explorer.

     Alors, d’où viendrait cette confusion?

     Revenons-en au texte italien. La seule citation complète du nom du jeu dans cette lettre se trouve au début de la plainte : il y est dit que le motif de la requête était de tenir hors les murs « il giuco incomodissimo del pallone ». Par la suite le mot « pallone » seul, est utilisé à de nombreuses reprises, et à la fin de sa demande, l’évêque signale que le Vice-Légat a d’ores et déjà pris des mesures visant à interdire à tous « di giocare al pallone » sur la place du palais.

     Les deux traductions dont nous disposons parlent de « jeu de ballon ». Ce qui n’est pas faux littéralement mais qui reste beaucoup trop imprécis et mène à un anachronisme qui nous paraît coupable. 

     Si l’on s’en tient à une traduction à la lettre il est parfaitement justifié de traduire pallone par ‘ballon’. C’est ce à quoi nous invite le dictionnaire Garzanti qui ne connait aucune autre acception de ce mot. On ne peut donc pas jeter la pierre ni à C. Cochin ni à M. Cézilly pour avoir traduit giuco del pallone par ‘jeu de ballon’. Mais ce qui pose problème, c’est que de « jeu de ballon » à football il n’y a qu’un petit pas à franchir et que ce petit pas a malheureusement été franchi un peu vite à mon avis.

     Un indice aurait dû mettre nos traducteurs sur la bonne piste. En Italie, depuis le 15e siècle au moins, les jeux de ballons aux pieds sont appelés Calcio-8 et il est plus que probable que si nos Carpentrassiens avaient joué avec les pieds, le romain Buti aurait employé « giocare al calcio » et non pas « giocare al pallone ».

     Mais les traducteurs sont bien excusables et nous leur pardonnerons d’autant plus volontiers que ni Cochin ni Cezilly, archéologue et professeur de littérature, ne devaient pas beaucoup s’intéresser à  l’aspect sportif de la plainte qu’ils jugèrent certainement très secondaire. Et puis à leur époque, ils ne disposaient pas d’internet et de ses puissants moteurs de recherches. Parce que si vous avez la curiosité de taper « giuco del pallone » dans Google vous allez brusquement voir jaillir la lumière en même temps qu’un demi-millier de pages où ce jeu est mentionné.

     En Italie depuis le 16e siècle au moins jusqu’à nos jours, on a pratiqué le « giuco del pallone » sous ce nom-9 et avec une continuité dont, je crois, il faut féliciter nos voisins italiens (fig. 3).

Fig. 3 : Affiche Turinoise du milieu du 19e s. annonçant une grande rencontre. Au moins un des joueurs cités sur l’affiche (Sconfienza) est resté un « joueur de légende » de ce jeu.

Pour l’évêque Buti et pour le tribunal romain à qui il adressait sa plainte, il n’y avait donc aucune ambiguïté. Car on peut postuler sans risque de se tromper que tous ces prélats italiens connaissaient ce jeu, et qu’ils savaient où et comment on pouvait y jouer. Il n’était nullement nécessaire pour Mgr. Buti d’expliquer à ses interlocuteurs les caractéristiques et les règles du « gioco del pallone » qu’ils connaissaient bien et auquel ils avaient peut-être même joué dans leur jeunesse.

     Est-il nécessaire de préciser ici qu’à la fin du 17e siècle tout le Comtat et Carpentras en particulier étaient imprégnés de culture italienne. Les monuments au milieu desquels ils vivaient étaient inspirés de l’architecture italienne à commencer par ceux qui entoure cette place d’où l’évêque et le Vice-Légat entendaient bien chasser le « giuco del pallone ». Le Palais lui-même avait bien été dessiné par François du Royer de la Valfrenière qui était français. Mais il avait suivi les instructions d’Alexandre Bichi, un prince de l’église d’origine siennoise fraichement nommé évêque de Carpentras, qui lui avait demandé de s’inspirer des beaux palais toscans-10. Bref, il ne paraît pas déraisonnable de supposer que les jeunes comtadins vivant sous l’autorité d’Italiens et imprégnés depuis des lustres de leur culture, aient adopté des jeux italiens.

     Il est temps de s’interroger maintenant sur le jeu lui-même. Là encore internet nous permet très facilement d’en apprendre les règles et l’histoire, et en même temps, de découvrir une abondante et riche iconographie.

     Nous savons que le giuoco11 del pallone se jouait depuis fort longtemps. On en trouve la trace aux 14e et 15e siècles où il se pratiquait dans les rues et sur les places des villes italiennes. Aux 18e et 19e siècles (fig. 4) il deviendra le jeu le plus populaire d’Italie.

Fig. 4 : Gravure italienne représentant le jeu. En 1814, vraisemblablement à Rome, place des quatre fontaines.

Comme pour le Jeu de Paume très répandu en France à la même époque il y a de multiples façons de jouer à ce jeu de balle. La forme qui est représentée sur cette gravure est dite « al bracciale»-12 (au bracelet). Ces bracelets étaient en bois avec un dispositif intérieur très simple qui permettait de les tenir très fermement (fig 5)

Fig 5: Des « bracciale » (bracelets) utilisés par les joueurs d’aujourd’hui. Les bracelets doivent règlementairement peser deux kilogrammes.

Leur rôle était de donner plus de puissance à l’impact sur la balle et donc de la propulser loin, haut et fort. Et donc sans difficultés vers les fenêtres d’un palais d’évêque.

     Donc, ce jeu ressemblait beaucoup au jeu de paume. Il ne s’agit pas d’une opinion personnelle puisque le grand ethnologue folkloriste Arnold Van Gennep pense que tous les jeux qui se jouent ainsi face à face, comme le « giuoco del pallone » ou le jeu de paume, sont des dérivés du jeu de « Trinquet »-13. Et une gravure du 17e siècle de Jean Lepautre (fig. 6) conservée à la bibliothèque nationale nous montre qu’en France aussi le même jeu était pratiqué de la même façon qu’en Italie. Et comme cette gravure est intitulée « le ballon » on comprendra que la distinction que nous faisons maintenant entre  jeu de balle et jeu de ballon n’était pas si évidente que ça, même pour les contemporains de la gravure.

Fig. 6 : Gravure de J. Lepautre. 17e siècle. (BNF). La légende d’époque de la gravure est : Le ballon. Beaucoup d’auteurs pensent qu’à l’origine, étaient utilisés des ballons gonflés. Mais depuis longtemps on se sert de pelotes identiques à celles de la figure 7.

     Nous avons dit plus haut que les ballons gonflés étaient certainement très rares à l’époque et jusqu’au début du 19e siècle. Mais de toutes façons, ni le giuoco del pallone, ni les différentes formes de jeu de paume, qu’elles soient jouées à la main, avec des raquettes, des bracelets ou des chisteras, ne se sont jouées avec des ballons gonflés. On le distingue d’ailleurs très bien sur la gravure de Lepautre où le ballon semble fait d’une enveloppe (de cuir?) ficelée et probablement bourrée de paille ou de tissu. D’ailleurs les joueurs italiens de notre époque ont su rester fidèles à la tradition et utilisent des pelotes fabriquées selon la tradition ancestrale (fig. 7).

Des pallone modernes photographiés lors d’un match officiel organisé par la fédération italienne de ‘pallapugno’ qui chapeaute tous les types de jeux de pelote.

Ces jeux très populaires étaient pratiqués dans tous les villages provençaux. Leur présence est attestée au début du 19e siècle grâce à la précieuse enquête du préfet Charles de Villeneuve-Bargemont-14. Dans le ‘Trésor des jeux provençaux’, Charles Galtier-15 faisait la même constatation en précisant que la forme à main nue était la plus répandue dans les villes provençales. Il en prenait pour preuve la présence dans de nombreuses villes et villages de rues du jeu de paume auxquels, nous le savons maintenant, il faut rajouter les rues et places du jeu de ballon.

     Revenons-en à la requête de Mgr. Buti. Cette longue lettre n’était qu’un soutien à une interdiction déjà promulguée par le Vice-Légat devant une sorte de tribunal d’appel qui devait se prononcer sur le bien-fondé de la décision de l’autorité civile. Bien entendu, l’évêque et le Vice-Légat gagnèrent ce procès et les joueurs durent définitivement quitter la place du palais pour aller s’amuser ailleurs, ce qu’ils faisaient déjà si on en croit la plainte de Mgr. Buti. Il est même possible que ces joueurs se soient transportés alors sur l’emplacement de l’ancien boulevard du jeu de ballon, comme le pense Henri Ameye-16, mais rien n’est moins sûr. Les règles de ces jeux n’étaient pas aussi rigoureuses que les règlements sportifs de notre époque et personne alors ne se préoccupait de standardiser la taille des terrains ou des bracelets. On devait pouvoir y jouer à peu près n’importe où comme de nos jours, les enfants peuvent jouer au foot sur n’importe quel terrain libre avec un nombre de joueurs qui ne dépend que des circonstances.

     Quel fut le destin de ces jeux populaires ? En France le jeu de paume devint de plus en plus règlementé et il parvint à supplanter les autres formes de ces jeux de balles où les deux équipes sont face à face. Le jeu de paume exerçait une hégémonie réelle et il ne connut pas de concurrence jusqu’à la fin du 19e siècle avec l’arrivée massive du Tennis. Le coup de grâce lui fut porté par le maréchal Pétain et J. Borotra son commissaire général à l’éducation et au sport, qui supprimèrent la fédération de Jeu de Paume transférant ses considérables biens à la fédération de Tennis-17.

     Il persista cependant quelques formes locales de ces jeux et nous pouvons au moins citer, au risque d’en oublier, les jeux de pelotes basques et la balle au tambourin pratiquée dans le Languedoc.

    Mais ces formes ne survécurent qu’au prix d’un processus de sportivisation gommant les particularités locales comme la taille des terrains ou des frontons et imposant des compétitions régulières, des terrains normés et l’organisation en divisions et catégories diverses.

     Si ces jeux ont disparu du territoire français, il n’en fut pas de même en Italie où l’on a su fort bien transformer ces longues traditions pré-sportives en richesses touristiques.

     Le Calcio Storico, par exemple, organisé avec un grand respect de la tradition médiévale, précédé de magnifiques défilés en costumes d’époque, attire plusieurs fois par an des milliers de visiteurs sur la place de Santa Croce à Florence.

     Dans Carpentras qui semble de nouveau aimer la fête, pourquoi n’organiserions-nous pas des reconstitutions du « Giuoco del pallone » en costume, sur la place du palais ? Les jolies Carpentrassiennes se feraient un plaisir de se pencher aux fenêtres de la place pour évoquer le souvenir gracieux des premières ‘supportrices’ du couvent des Ursulines.

JF Brun.

NOTES

1 Téléchargeable sur le site Gallica de la BnF.

2 Jadis…Carpentras, Le Nombre d’or, Carpentras, 1985, planche 11, où l’on trouve aussi la reproduction détaillée du dessin qui accompagnait la requête de Mgr. Buti.

3 Fort heureusement il publie l’intégralité de la lettre en italien. Nous allons revenir sur ces problèmes de traduction et de lecture.

4 Traduction faite pour l’ouvrage de G. Brun : Carpentras. Recueil de textes anciens et modernes, Le Nombre d’or, Carpentras 1970, p 146 et reprise partiellement dans Jadis…Carpentras ; op. cit.

5 Seule les pièces donnant sur la place étaient habitables. C’est, du moins, ce que dit la requête.

6 G. Brun avait signalé cette anomalie et il trouvait bien hautes les fenêtres du palais : «… pour qu’elles soient menacées il fallait que les footballeurs carpentrassiens aient un sacré coup de pied. »

7 P. Villemus, Le dieu football, Eyrolles, 2006. 

8 Le dictionnaire Garzanti propose « coup de pied » comme traduction de Calcio

9 On rencontre quelquefois aussi celui de « Sferistorio » dont l’étymologie est grecque.

10 La construction dura de 1640 à 1650 (cf. Jadis…Carpentras, G. Brun Pl. 18)

11 Il semble qu’on employait aussi bien Giuoco que Gioco.

12 Ou « col bracciale »

13 A. Van Gennep, Les jeux et les sports populaires de France, éditions du CTHS, Paris, 2015, p 94.

14 L’ouvrage original de 1829 est difficile à se procurer mais la statistique est rééditée et commentée dans un ouvrage récent : Récits des fêtes en Provence au 19e siècle, éd. Archives départementales des BdR, 2010

15 C. Galtier, Le trésor des jeux provençaux, éd. M. Petit, Raphèle les Arles, 1952

16 Henri Ameye, En flânant… rues et places de Carpentras, éd. Batailler, Carpentras, 1966.

17 La fédération de Rugby à 13 fut frappée elle aussi par la même décision. Il fut interdit de pratiquer le Rugby à 13 et les biens de la fédération furent offerts à la fédération de Rugby à 15 qui oublia de les rendre à la Libération.

 




Patins à roulettes

La fédération de Roller se plaint de son manque de retentissement médiatique. Pourtant les différentes disciplines de « patin à roulettes » sont spectaculaires et pratiquées par d’excellents sportifs. Parmi les motifs invoquées comme cause probable de ce relatif désamour, il y a certainement le fait que le CIO ne lui a jamais offert l’accès aux Jeux Olympiques qui sont, comme chacun sait, une source considérable de reconnaissance officielle et donc de subventions, ainsi que d’accès aux grands médias. Il est vrai que les jeux d’été, auxquels pourrait prétendre le Roller, sont pléthoriques et que la concurrence est rude pour s’y faire accepter, alors que les jeux d’hiver où figurent depuis toujours le patin à glace manquent au contraire de disciplines nouvelles et crédibles.

Mais ceci ne doit pas nous faire oublier que le Roller est un sport exigeant et dont l’ancienneté

historique devrait faire pâlir de jalousie quelques sports nouvellement officialisés dont la pérennité est loin d’être acquise (non ! non ! Je ne nommerai personne)

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Albums souvenirs (Press-books)

Les souvenirs des carrières sportives sont quelquefois rassemblés par les sportifs eux-mêmes. C’est assez rare. En revanche, il n’est pas rare que des proches (parents, conjoint (e), enfants) pensent à rassembler les coupures de presse et les photographies qui les concernent. Il arrive plus souvent encore, que certains clubs conservent plusieurs années des albums, où les dirigeants successifs gardent soigneusement les hauts faits de leur association.

Notre conservatoire a la chance de se voir souvent offrir de tels press-books, par leurs propriétaires ou par des dirigeants de clubs qui préfèrent la sécurité de nos réserves aux aléas de la conservation, parfois négligente, de leurs successeurs.

Nous avons rassemblé dans cette galerie quelques exemples de ces collections. Comme on va le voir, ce sont des objets très divers qui vont de l’album souvenir imprimé, illustré de magnifiques tirages photographiques ( souvenirs de la rencontre US banque de France & le bank of England sports club) à un simple cahier où un collégien passionné par le Rugby à 13 colle soigneusement les photos de presse du championnat national (auquel il participera quelques années plus tard).

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Patinage sur glace

Le patinage a été le premier « sports d’hiver » admis aux Jeux Olympiques. Il l’a été avant même la création  des Jeux Olympiques d’hiver en 1924 à Chamonix. Lors des Jeux de Londres en 1908 plusieurs médailles furent attribuées en patinage artistique, notamment à l’anglaise Madge Syers et au suédois Salchow. Ce fut d’ailleurs, le patinage artistique qui draina la plus large part de l’adhésion populaire lors de ces jeux … d’été. Curieusement il n’y eut pas de patinage aux Jeux de Stockholm qui suivirent ceux de Londres, mais uniquement pour des raisons diplomatiques: les Jeux Olympiques de 1912 ne devant pas concurrencer les Jeux Nordiques de 1911.

Mais avant d’être « sportivisé » et sévèrement encadré par des règlements très contraignants, le patinage fut d’abord un moyen commode de se déplacer pour les anciennes populations nordiques, et aussi, peut-être surtout, un instrument de loisirs festifs, de promenades et de jeux. 





Maillots de clubs – Catalogue

Les premiers catalogues de marchands d’articles de sports constituent maintenant de précieuses archives pour ceux qui s’intéressent à l’histoire du sport et à l’évolution de ses moyens techniques. Le CPS en possède actuellement une cinquantaine. Le plus ancien est un catalogue de la Manufacture Française d’Armes et Cycles de St Etienne de 1899.

Au début du XX° siècle des marchands spécialisés dans le matériel pour les sportifs s’installèrent à Paris et dans les grandes villes de province et s’organisèrent pour la vente par correspondance. Les premiers étaient d’origine anglaise (ou le laissaient penser) comme Tunmer et Williams. Leurs catalogues nous ont permis de faire ce petit rappel en image de l’offre de maillots proposée aux footballeurs et Rugbymen français.

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Gravures

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Chaussures

Les premiers footballeurs, aussi bien les joueurs de « Rugby » que les joueurs « d’association », portaient des bottines montantes qui ne comportaient pratiquement aucun perfectionnement technique. Puis rapidement on renforça les semelles avec des crampons et des barrettes qui permirent de moins glisser sur les terrains boueux de l’hiver. Les sportifs provinciaux faisaient adapter leurs chaussures montantes par des cordonniers locaux mais ils purent très vite commander des chaussures aux maisons parisiennes qui leur proposaient des souliers de fabrications standardisées qui correspondaient mieux aux exigences de ces nouveaux sports d’équipe. Le CPS possèdent plusieurs paires de chaussures de football et de rugby qui nous permettent d’illustrer ici quelques étapes de cette évolution technique.

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Raquettes de tennis

Formons deux équipes, par exemple ceux du quartier du moulin à vent contre ceux du marché aux cochons, ou bien les jeunes contre les vieux ou encore les mariés contre les célibataires. Traçons sur la place une ligne entre nos deux camps et jouons à nous renvoyer la balle en essayant de marquer des points. On précisera les règles en jouant, ce qui est important pour le moment c’est de renvoyer la balle loin et vite. Bravo ! Nous venons de réinventer le jeu de trinquet ou un autre des innombrables jeux qui se pratiquaient jadis dans toutes les provinces et dans tous les pays du monde.

Il nous faut renvoyer la balle le plus fort possible ? Alors aidons nous de ce qui nous tombe sous la main, un gros bâton par exemple. Ou mieux, inventons des instruments mieux adaptés : un lourd brassard en bois (« gioco dei bracciale » qui se jouait en Italie et … à Carpentras), un panier en osier (la pelote basque), un tambourin (encore pratiqué dans le Languedoc) et bientôt une raquette en bois tendue de cordelettes. Encore Bravo ! Nous avons réinventé le tennis!

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Le cercle des Vélocipédistes Carpentrassiens et les deux courses de 1869

A la fin des années 1860 de nombreuses associations de vélocipédistes voient le jour en France. Parmi elles le Cercle des vélocipédistes Carpentrassiens (CVC). Leurs fondateurs sont – sans trop le savoir – en train d’inventer les sociétés sportives, une forme associative dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle aura un grand avenir! L’exemple du CVC va nous permettre d’essayer de comprendre les transformations radicales qui sont en train de se produire, ainsi que les résistances qu’elles suscitèrent.
On aurait pu s’attendre à ce que les buts nouveaux de ces fondateurs les aient conduit à créer des formes associatives nouvelles – nous allons voir qu’il n’en fut rien. Les compétitions sportives qu’ils organisèrent furent bien de fait, radicalement nouvelles, mais on à l’impression que cette nouveauté les effrayât et qu’ils se sentirent obligés de se réfugier dans des modèles préexistant au premier rang desquels celui des compétitions hippiques.

Il nous faudra aussi essayer d’expliquer ce que Carpentras vint faire – et de façon si précoce – dans ce mouvement novateur et progressiste.
Nous allons commencer par là.
Pour K.Kobayashi 1 le Cercle des Vélocipédistes Carpentrassiens (CVC) fut la 5° société cycliste à voir le jour en France. Or à cette époque Carpentras est une petite ville provinciale sans grande originalité. Son économie est fondée sur l’agriculture et vers 1860 l’agriculture Comtadine 2 se porte mal . Le vignoble est déjà fortement touché par le phylloxéra, la garance traditionnellement utilisée en teinture est mortellement concurrencée par les teintures chimiques Alsaciennes et Allemandes, et la culture de l’olivier est de peu de rapport. Il y aurait eut là de quoi être pessimiste, et on ne voit pas bien comment dans ce climat de marasme économique, les Carpentrassiens enthousiastes sont pu se lancer dans l’aventure cycliste. C’est que dans le même temps réapparaissaient des raisons d’espérer dans l’agriculture. Deux nouveautés vont révolutionner les anciennes façons culturales. En 1863 le chemin de fer arrive à Carpentras et surtout, depuis le début des années 1860 le canal de Carpentras amène en abondance l’eau de la Durance sur les terres arides du Comtat Venaissin. Ces deux innovations, associées à un ensoleillement très favorable, vont permettre des cultures maraichères « primeurs » qui seront expédiées très tôt dans la saison – donc à bon prix – vers Paris et les villes du nord de la France. Ces nouvelles cultures (tomates, aubergines, melons etc.) seront aussi transformées sur place dans de petites structures industrielles de confiserie et de conserverie grandes utilisatrices de main-d’oeuvre. L’agriculture locale jusqu’alors très traditionnelle pour ne pas dire conservatrice se retrouve soudain projetée en pleine modernité.

Ce regain de l’économie locale suffit-il à expliquer cet enthousiasme pour les courses de Vélocipèdes? Certainement pas et il faut aussi s’intéresser à quelques traits ethniques qui caractérisent la culture provençale. Depuis longtemps les provençaux sont des joueurs. C.Bromberger 3 a bien montré « l’engouement des Provençaux pour le jeu » qui se traduit par une «pratique ludique exceptionnellement dense à l’échelle du quotidien».  Les provençaux aiment les défis et les paris de toutes sortes. À Carpentras par exemple, dès l’apparition des premiers vélocipèdes, le riche propriétaire d’un bon trotteur engage un pari avec le meilleur des vélocipédistes locaux pour savoir qui des deux arrivera le premier à boucler un parcours d’une bonne vingtaine de kilomètres. 4

Ce goût ludique pour les affrontements sportifs semble caractériser aussi bien tous les pionniers français de la vélocipédie. Dans tous les statuts de ces premières associations il est mentionné l’organisation de courses comme moyen de développement et de propagande; dans aucun il n’est fait mention d’un quelconque caractère utilitaire ou hygiénique du vélocipède. C’est assez montrer que les fondateurs de ces premiers Véloce-clubs entendaient surtout s’amuser et ce malgré ce que pourrait laisser croire le côté quelque peu caporaliste de certains de leurs règlements.
Il ne faudrait cependant pas faire des fondateurs du CVC des révolutionnaires modernistes décidés à rénover profondément la société française. Nous allons voir en effet qu’à plusieurs titres ils firent preuve d’une très grande timidité et d’abord dans le choix de leur organisation interne.
Le Cercle des vélocipédistes Carpentrassiens fait sa demande d’autorisation le 28 Octobre 1868 et l’obtient le 27 Novembre 1868. Le choix de ce nom ancien de «Cercle» pour cette association dont l’objet est nouveau n’est pas anodin.
Qu’est ce qu’un Cercle?
Présents dans toute la France mais surtout en Provence et dans le midi, les cercles constituent une forme déjà ancienne d’organisation sociale 5. Il y a des cercles dans toutes les villes et dans tous les bourgs provençaux de quelque importance. Ce sont des associations uniquement masculines dont les membres se groupent par affinité idéologique ou professionnelle et quelquefois même ethnique. L’administration impériale leur donne l’appellation commune de « sociétés d’amis » ce qui en est finalement une assez bonne définition. Or, nous allons le voir en détail, la structure et les règlements des cercles ne paraissent pas très bien adaptés aux buts que se fixent les nouvelles associations de vélocipédistes.

Le CVC installe son siège au premier étage d’un des grands cafés de la ville en lieu et place du « cercle des employés » 6. Nous connaissons la liste de ses membres fondateurs et grâce à un rapprochement avec les listes électorales de Carpentras nous avons pu retrouver l’âge et la profession de la plupart d’entre eux.

On peut constater qu’il s’agit de jeunes gens (moyenne 26,2 ans avec des extrêmes à 21 et 33 ans). Leurs professions sont plutôt modestes: il y a treize artisans et commerçants sur les vingt et un membres dont le métier est connu. Ce qui corrobore ce qu’Alex Poyer 7 a observé pour l’ensemble des premiers Véloce-clubs.  Parmi les fondateurs on ne trouve aucun membre de la noblesse carpentrassienne pourtant très présente dans nombre d’autres activités locales.

Nous avons une preuve supplémentaire de ce que les membres fondateurs du CVC n’étaient vraisemblablement pas très riches et n’avaient peut-être pas tous les moyens d’acheter un vélocipède: les statuts du cercle prévoit que l’association pourra en acheter pour les louer à l’un ou l’autre de ses membres.
Nous avons la chance d’avoir un excellent point de comparaison avec la création quasi contemporaine (Mai 1869) et la proximité géographique du Véloce Club d’Avignon (VCA). Là encore nous disposons de la liste des membres fondateurs.

La proportion des commerçants et des artisans y est encore plus forte qu’au CVC (14 sur 20 soit 70%). Les buts de ces deux sociétés sont très semblables. A Carpentras: développer l’art et l’usage du vélocipède, créer des relations amicales entre les membres du cercle et créer des courses annuelles de vélocipèdes. A Avignon on se propose: la réunion des «velocemen», la propagation du vélocipède et l’organisation de courses et de promenades.
Les deux associations dont les buts apparaissent clairement comme sportifs et ludiques vont cependant s’inspirer pour leur règles de fonctionnement des structures archaïques et fermées des cercles.
Ni l’une ni l’autre ne montre d’empressement à accueillir de nouveaux membres. Pour être admis dans ces sociétés il faudra d’abord être parrainé par deux membres fondateurs et ensuite franchir l’obstacle d’un scrutin positif (3/4 des membres du VCA alors qu’une majorité simple suffit à Carpentras). Le statut des «étrangers» (c’est à dire des Avignonnais ou des Carpentrassiens non-membres titulaires) est également fixé par le règlement. Le bureau du CVC pourra leur accorder une carte provisoire tandis qu’à Avignon on leur permettra de venir «à de rares intervalles». On le voit on n’est pas très accueillants malgré l’intention manifestée dans les statuts d’assurer la propagation de la vélocipédie.
Nous connaissons l’adresse des membres fondateurs du VCA. Lorsqu’on la reporte sur un plan d’Avignon on a l’impression d’une assez grande proximité géographique.

Selon toute vraisemblance ces jeunes gens se connaissaient et étaient probablement déjà des amis.
On pourrait imaginer que des dispositions légales étaient à l’origine de ce repli sur soi. Il n’en est rien et nous en voulons pour preuve les statuts d’une société avignonnaise qui voit le jour à la même époque. La « Société des francs jouteurs de la porte du Rhône », fondée en Octobre 1869, ne met aucune restriction à l’adhésion de nouveaux membres. Il suffira pour être admis comme membre titulaire d’avoir plus de vingt ans. C’est donc la société la plus traditionnelle qui a le comportement le plus audacieusement moderne et qui pratique, très tôt dans l’histoire des exercices physiques, le prosélytisme que nous connaissons aujourd’hui dans les associations sportives actuelles.

Nous allons voir maintenant que même dans l’organisation d’une activité aussi radicalement nouvelle que les courses de « véloces » les membres du CVC vont se croire obligé de se référer à des modèles préexistants.
Le CVC organise sa première réunion de courses le 29 Mars 1869 . C’est un Lundi de Pâques et cette date n’est pas fortuite. Le Lundi de Pâques est traditionnellement en Provence une journée de fête et de sortie en plein air.

Partout en France, à Carpentras comme ailleurs, les organisateur de ces premières réunions vont se réfugier dans un modèle que nous avons tendance aujourd’hui à trouver ridicule qui devait pourtant leur paraître inévitable 8. R.Hubsher l’avait noté: « le succès d’une rencontre cycliste se mesure à son degré de ressemblance avec une réunion hippique et les jeunes gens poussent le souci de la ressemblance jusqu’à revêtir une tenue de jockey, chausser des bottes et user d’un vocabulaire emprunté aux professionnels du milieu hippique.» 9
La ressemblance ne s’arrête pas au vêtement. Les affiches et les programmes sont directement copiés sur ceux des courses de chevaux.

De nombreuses explications ont été proposées pour expliquer cette attraction pour le modèle turfiste. Il est raisonnable de penser que, au moins pour les réunions parisiennes, la volonté de rester dans un entre-soi mondain fut primordiale. Les Carpentrassiens quand à eux se rendaient bien compte que leur société ne pouvait pas avoir le chic des courses parisiennes, aussi leurs exigences en matière vestimentaires furent-elles plus modestes. En dehors de la Poule des Velocemen où le règlement précise que «la tenue de jockey en soie est strictement de rigueur » on ne demanda aux participants des autres courses qu’une « tenue convenable se rapprochant autant que possible des costumes de jockey »

Un ex-voto naïf 10 qui a le grand avantage de nous apporter des informations rares sur les couleurs utilisées par les coureurs, nous permet de vérifier que ces recommandations furent réellement observées par les concurrents.
Bien sur ces jeunes gens manquèrent-ils un peu d’audace en ce qui concerne les formes qu’ils donnèrent à leurs associations. Ils ne surent pas non plus couper dès l’origine le cordon ombilical qui les liaient au turf et à la haute société parisienne. Il ne faudrait pour autant pas oublier que dans de nombreux autres domaines ils furent des pionniers.

Alex Poyer 11 met bien évidence « cette « sportivisation » quasi immédiate des premières manifestations cyclistes. Il ne s’agissait pas, en effet de transformer un jeu traditionnel en sport, mais d’inventer un nouveau et probablement le premier des sports modernes. D’emblée les organisateurs de courses de vélo instituèrent un calendrier propre et indépendant de circonstances festives traditionnelles ou religieuses locales. D’emblée les parcours étaient mesurés et chronométrés. Les performances pouvait donc être comparées d’un champ de course à un autre et des records établis et mémorisés. D’autre part la valeur des prix distribués (500F. par exemple pour le grand prix du mois d’Aout à Carpentras) en attirant des concurrents de toute la France, faisait exploser le cadre étroit des fêtes votives traditionnelles. Toutes ces « inventions » sont à porter au crédit de ces pionniers.

Avaient-ils la possibilité de concevoir et d’inventer « le sport » à partir de rien?

Probablement pas puisqu’ils se crurent obligés de se référer au modèle turfiste préexistant. Mais après tout les fondateurs parisiens de l’athlétisme ne firent pas non plus preuve de davantage d’audace puisque vingt ans plus tard, lors des premières courses à pied organisée par le très mondain Racing club de France, ils se sont crus encore obligé de s’accoutrer de costumes de jockey avec toques, bottes et cravaches.

 

 

 

 

 


NOTES
1 communication personnelle conservée au CPS. De cet auteur il faut lire: K.Kobayashi; Histoire du vélocipède de Drais à Michaux 1817-1870, un ouvrage de référence malheureusement épuisé. 

2 Le Comtat Venaissin est un ancien état du pape dont le territoire était à peu près superposable à l’actuel département de Vaucluse. Le Comtat s’est volontairement rattaché à la France en 1792 et n’était donc Français que depuis peu, ce qui est déjà un trait original.

2 Bromberger Christian: Provence; R.Bertrand, C.Bromberger, JP.Ferrier; Paris, Christinne Bonneton, 1989 P.244
4 L’indicateur de Carpentras; 22 Novembre 1868
5 C.Bromberger; ibid; P.185
6 il n’y a aucun rapport entre ces deux associations qui n’ont eu aucun membre commun.
7 La bourgeoisie « populaire » des employés et des petits patrons du commerce et de l’artisanat fournit six adhérents sur dix. Alex Poyer: Les premiers temps des véloce-clubs, Paris, L’Harmattan, 2005, P307.
8 Ces courses ont été bien fort décrites par K.Kobayashi dans son Histoire du Vélocipède; op.cit. et nous avons nous-même publié quelques articles sur ce sujet (notamment:JF.Brun, Carpentras: aux origines des courses vélocipédiques?, Science et motricité, n°27, pp 17-22) nous ne nous y étendrons pas davantage ici.

9 R. Hubscher, J. Dury, B. Jeu, l’Histoire en mouvements, Ed. Armand Colin, Paris, 1992
10 conservé par la Bibliothèque Inguimbertine (voir les remerciements en fin d’article)
11 A.Poyer, op cit, P15

JF Brun
Remerciements
Nous remercions tout particulièrement M. Jean-François Delmas directeur de l’Inguimbertine et des musées de Carpentras de nous avoir autorisé à reproduire ces documents à l’occasion de la 26° Conférence internationale d’histoire du cycle d’Entraigues sur la Sorgue.
Article publié initialement dans les actes de la 26° CIHC.