Fêtes, Jeux, Sports et politique à Carpentras à la fin du XIX° siècle.
De la chute du second empire à la guerre de 1914, le parti conservateur ne put jamais conquérir le pouvoir municipal à Carpentras, et pourtant durant toute cette période il sut peser sur les décisions locales et en particulier dans le domaine sportif. Cette époque d’intenses luttes politiques fut aussi une période fondatrice pour le sport français … et pour le couple chaotique, mais désormais indissociable, du sport et du pouvoir municipal. Et nous allons voir aussi que ce que nous appelons aujourd’hui le « sport-spectacle » n’a rien d’une invention récente.
Les exercices physiques à Carpentras vers 1870.
La défaite de 1870 eut des répercussions déterminantes sur les structures d’encadrement et de formation de la jeunesse. Mais ces bouleversements ne furent pas immédiats. La fondation des innombrables sociétés « conscriptives » (Tir, Gymnastique et Préparation Militaire) qui couvriront en 1914 tout le territoire français et celle des « bataillons scolaires » ne survinrent que dans un second temps. Dans la décennie qui suivit le désastre de 1870 une sorte d’accablement avait saisi la société française et il ne fut guère question d’encadrer la jeunesse et de la préparer à la Revanche. C’est en tous cas l’avis de P.Arnaud pour qui « l’état de prostration qui a suivi la défaite de 1870 a retardé la mobilisation des populations autour des pratiques conscriptives. Il faudra attendre l’arrivée définitive des républicains au pouvoir, en 1879, pour que les exhortations de Gambetta soient entendues». De ce point de vue Carpentras ne se distingua pas du reste de la France.
La gymnastique à Carpentras et à Pernes.
Cependant, et avant même la fin du second empire, les communes avaient quelques obligations en matière d’éducation physique de la jeunesse. Le décret de Victor Duruy de1869 avait rendu la gymnastique et les exercices physiques obligatoire dans les écoles primaires françaises et Carpentras, contrairement à une grande majorité de communes, s’était conformé sans trop rechigner à ce décret. Le conseil municipal avait voté un crédit de 600F pour l’établissement d’un gymnase qui puisse « servir aux élèves des écoles communales et même au public, sans que la discipline du collège puisse être troublée ».
Bâti à proximité immédiate du collège de garçon, ce gymnase initialement prévu pour l’enseignement des écoliers du primaire public fut aussi ouvert à l’école des Frères et aux collégiens du secondaire. Pour assurer cette nouvelle mission le conseil municipal décida de créer une « chaire d’éducation physique » et d’embaucher un professeur. Son salaire fut l’objet d’âpres discussions et fixé à seulement 300F annuels ce qui était notoirement insuffisant. De son côté l’Etat, manifestement satisfait du zèle des carpentrassiens, consentit une subvention annuelle très importante ( 1500F pour : la construction et le fonctionnement du gymnase, le salaire du professeur de gymnastique et l’amélioration du salaire des autres enseignants).
à Carpentras le conseil municipal décida donc de porter à 1000F le salaire annuel de M.Mouyade le professeur de gymnastique, ce qui à ses yeux était encore insuffisant bien qu’étant, tout de même, le double de ce que percevait le professeur de dessin et beaucoup plus que les 600F de l’aumônier, les 400 du rabbin et les 300 du professeur de musique.
En 1872 l’enseignement de la gymnastique devint obligatoire dans toutes les écoles publiques françaises même rurales et si Carpentras avait été précurseur en la matière, les villages limitrophes comme Pernes, par exemple, durent suivre le mouvement. Sans excès d’enthousiasme le conseil municipal de Pernes décida que la cour de l’école serait suffisante pour cet enseignement et qu’on pourrait y installer commodément le matériel nécessaire que le maire avait fait estimer par devis à 232F. Le financement de l’opération n’était pas le seul problème des Pernois. L’école primaire n’avait qu’un instituteur; Fallait-il qu’il abandonne momentanément ses taches habituelles ou bien que l’on embauche un instituteur adjoint chargé du seul enseignement de la gymnastique ? Le Conseil décida de consacrer 149,98F à cette seconde solution.
Notons en passant que les raisons qui firent que le conseil municipal de Pernes adhéra volontiers à la circulaire de 1872 ne furent pas inspirées, du moins pas directement, par la défaite de 1870 et un devoir patriotique, mais parce que « l’enseignement de la gymnastique a pour but l’éducation physique et tends à généraliser la force, la santé, et la moralité des jeunes générations ».
Les « sports » en 1870.
Y avait-il alors à Carpentras des activités «sportives»? Peut-être pas avec une grille de lecture moderne. Mais de nombreux jeux pré-sportifs y étaient pratiqués. Il s’agissait de jeux plus ou moins « athlétiques » déjà très anciens et fort populaires qui se pratiquaient régulièrement dans les fêtes votives de tous les villages provençaux. Les trois sauts, la lutte et la course étaient de presque toutes les fêtes et leur caractère sportif ne fit jamais de doute pour personne, à commencer par P. de Coubertin qui les inscrivit au programme de ses premiers Jeux Olympiques.
Un deuxième grand sport avait déjà fait une apparition tonitruante à Carpentras. Le Cercle des Vélocipédistes Carpentrassiens avait organisé en Mars 1869 une des premières grandes courses de vélocipèdes françaises.
Et il ne faudrait pas oublier le Turf. Même si à notre époque on considère que lors des courses de chevaux c’est surtout le cheval qui fait du sport, il nous a paru légitime de placer les courses hippiques dans le champ de cette étude; quand ce ne serait que parce que, sans elles, le mot sport n’aurait peut-être pas été introduit dans notre vocabulaire. Souvenons nous de la définition du mot sport qu’Emile Littré donnait dans son dictionnaire de 1869: « Mot anglais employé pour désigner tout exercice en plein air, tels que courses de chevaux, canotage, chasse à courre, à tir, pêche, tir à l’arc, gymnastique, escrime, etc. En France on confond souvent le sport et le turf; mais le turf n’est qu’une sorte de sport. ». Et puis nous allons voir que les rapports souvent conflictuel que la société hippique entretint avec le pouvoir municipal eurent des incidences indirectes sur le développement des sports carpentrassiens.
La société hippique et le pouvoir municipal.
Il est pratiquement impossible de dater l’apparition des premières courses de chevaux à Carpentras tant la pratique en paraît ancienne. Nous n’essaieront donc pas de le faire ici. Nous nous intéresseront seulement à leur aspect social et aux rapports de la société hippique avec les différentes municipalités de la fin du XIX° siècle.
Des courses de chevaux avaient lieu chaque année au mois de Juillet lors de la fête patronale de Notre-Dame de Santé. Une commission ad hoc, nommée par le conseil municipal, était chargé de leur organisation. Cette organisation routinière changea assez brusquement en 1864.
Jusque là les affiches annonçant ces courses étaient à l’en tête de la Mairie de Carpentras et signées du maire, les frais (choix du champ de course, construction de tribunes, prix distribués) étaient à la charge directe de la ville. La dépense consentie par la ville pour l’organisation des festivités apparaissaient dans une seule ligne du budget primitif où elles n’étaient pas détaillées.
Mais en 1864 une société hippique fut crée à l’initiative de L.Fabre, directeur de la ferme-école du département (située à Carpentras). La présidence en fut donnée au général Buisson d’Armandy. Cette société qui avait choisi un nom assez pompeux ( Société hippique et zoologique du département de Vaucluse) avait de grandes ambitions: « Il ne s’agit pas d’organiser comme d’habitude un pur spectacle de curiosité, porté au programme de notre fête patronale au même titre que le feu d’artifice ». L.Fabre voulait créer une société indépendante du pouvoir municipal et disposant d’un calendrier propre (ses statuts précisaient notamment que d’autres réunions de courses seraient organisées à d’autres dates que celles de la fête votive).
Dés lors, les différentes municipalités carpentrassiennes firent grand cas de la « société hippique » acceptant régulièrement de la subventionner largement et sans commune mesure avec la dotation des autres associations carpentrassiennes.
Pourquoi une telle sollicitude ? Il y avait probablement des raisons politiques assez « machiavéliques ». On l’a dit les municipalités de la période 1870 -1914 furent toujours républicaines et, à l’opposé, la société hippique comptait beaucoup de conservateurs dans son comité. Ne pas mécontenter cette puissante coterie en lui laissant un espace où s’affirmer, tout en restant pour l’essentiel sous la dépendance financière du conseil municipal et du du bon vouloir du Maire, a certainement paru assez habile aux yeux des édiles carpentrassiens.
Quoiqu’il en soit, aucune des municipalités carpentrassiennes ne réduisit la subvention de la société hippique qui, jusqu’en 1914, ne descendit jamais au dessous de 1000F par an. Les dépenses municipales et les subventions allaient d’ailleurs régulièrement bien au delà de cette somme. L’entretien de l’hippodrome en particulier, couta souvent fort cher à la ville qui l’eu toujours à sa charge. Ainsi en 1878 la municipalité de Cyprien Poujade (maire républicain et anticlérical farouche) engagea 3747F pour agrandir les terrains de l’hippodrome.
Deux ans plus tard, sous la même municipalité la Société Hippique demanda 100F en sus de sa subvention habituelle pour se charger de l’entretien des pistes. Un conseiller fit remarquer qu’un accord avec la ville avait déjà concédé l’usage et l’entretien de l’hippodrome à la société hippique et que cette subvention n’avait donc pas lieu d’être. La remarque fut inscrite sur le cahier des délibérations mais resta lettre morte … et la subvention fut votée.
En 1885 Eugène Guérin (maire Républicain Modéré) dut gérer une situation conflictuelle crée par la demande du Cercle des Sports qui aurait voulu lui aussi organiser des courses sur l’hippodrome de St. Ponchon et demanda une subvention de 500F. Très diplomatiquement E.Guérin donna son autorisation et fit voter la subvention, mais à la condition que la société « ordinairement chargée de l’organisation des courses dans notre ville » reçoive la moitié des bénéfices.
On peut supposer que cette habile diplomatie républicaine et ces égards consenties à une association contrôlée par les conservateurs et les royalistes, devait être justifiée et qu’il fallait donner au public (et aux électeurs) des arguments un peu plus présentables.
La municipalité utilisait alors un argument imparable. Avec les courses se présentait une des rares occasions d’attirer des « étrangers » dans notre ville.
Malgré toutes ces attentions les courses carpentrassiennes ne semble pas avoir été particulièrement brillantes. Il y eut quelques exceptions: en 1893 la réunion de printemps connut une réussite inhabituelle, la recette de 3 300F battit des records et le bilan fut, pour une fois, bénéficiaire.
Ce fut alors l’occasion pour le chroniqueur du « Mont Ventoux », modérant l’enthousiasme des organisateurs, de faire cette remarque désabusée : « notre hippodrome perd sa mauvaise réputation d’autrefois et attire dans son enceinte cette masse qu’on ne remarquait qu’à Cavaillon et à Avignon »
Un sport populaire: «courir les joies»
On vient de le voir les édiles municipaux manipulaient avec beaucoup de précautions les distractions des notables. Mais ils n’abandonnaient pas pour autant les fêtes traditionnelles, principales distractions, de la grande masse des Carpentrassiens.
La fête patronale de Notre Dame de Santé était la grande fête de l’été carpentrassien et la ville y consacrait chaque année un budget important.
Son succès populaires était en partie du au fait que comme dans le reste de la Provence on y « courait les joies ». Nous avons complètement perdu l’usage de cette terminologie locale qui est devenue un peu mystérieuse. Pourtant le mystère n’est pas grand « les Joies » étaient simplement les prix que l’on gagnait aux différents concours organisés lors de la fête votive. (Lire: LS.Fournier, Courir, sauter, lutter. Jeux et réjouissance profanes des fêtes provençales dans: Récits de fêtes en Provence au XIX° siècle, SilvanaEditoriale, 2010)
Avant l’invention des sports modernes les jeux des fêtes foraines occupaient presque tout le champ des activités physiques. La «saison sportive», si on veut bien excuser cet anachronisme, était rythmée par la succession des fêtes de villages qui suivaient un calendrier immuable.
De juin à la fin septembre il n’y avait pas de semaine sans fête votive dans l’un ou l’autre des villages autour de Carpentras.
Chaque village avait ses particularités. À Carpentras les organisateurs ajoutait à un programme fixe avec feux d’artifices, bals et concerts, un concours à caractère sportif qui variait chaque année. Il s’agissait très souvent de concours de lutte avec des prix importants (100F), d’escrime (250F) ou encore de Tir (200F). Bien entendu ces sommes étaient intégrées au budget général de la fête.
A côté de ces concours officiels de nombreux jeux, beaucoup moins bien dotés, étaient pratiqués lors de la fête du mois de Juillet, mais malheureusement, nous ne savons pas lesquels. Le programme officiel, publié dans les journaux locaux et sur les affiches, annonçait sans plus de détails « Pendant toute la fête jeux et divertissements divers sur la promenade des platanes». Il est probable que les amateurs concernés savaient à quoi s’attendre.
Si la commission carpentrassienne traitait de haut ces jeux populaires il n’en étaient pas de même dans les villages alentours qui, quelques fois, prenaient la peine de détailler leur programme.
Ainsi à Althen-les-paluds pour la fête de la mi-Aout 1893, on pouvait participer à quelques jeux authentiquement athlétiques, mêlés à des concours simplement destinés à la distraction du public (course des hommes, course des enfants, trois sauts, étrangle-chat, concours de boules, jeux de la cruche, concours de grimaces, course en sac). Et à Venasque la même année : course des hommes, des enfants et des grand-pères. À Carpentras les fêtes de quartier avaient probablement des programmes à peu prés semblables à ceux des fêtes votives villageoises. Hélas, les organisateurs de ces petites fêtes ne disposaient pas de budgets très importants (la valeur des prix distribués était de l’ordre de quelques francs) et ne prenaient pas la peine de les annoncer dans la presse. On sait toutefois par une affiche de 1865 qu’à la fête Carpentrassienne du quartier du moulin à vent, il y avait une course d’hommes où l’on pouvait gagner une écharpe, comme lors de la course de Nimes glorifiée par Frédéric Mistral dans le chant premier de Mireille, ainsi qu’un concours de lutte pour les demi-hommes (les adolescents) dont le prix était une montre en argent.
c) Les courses cyclistes et les sociétés conscriptives
En 1886 le paysage sportif carpentrassien subit de profonds changements.
Le Cercle de la Cigale organisa des courses cyclistes le 18 Juillet 1889 à l’occasion de la fête votive. Le total des prix distribués était important (580F) et le public vint nombreux malgré des prix d’entrée relativement élevés (1F et 0,5F pour les dames et les enfants).
Pour cette première manifestation le Cercle de la Cigale n’avait pas demandé de subvention. Mais il n’en fut pas de même pour les courses que le cercle, fort de son succès, organisa en Septembre de la même année. Cette réunion, qui eut donc lieu en dehors de tout contexte festif, s’annonçait comme plus importante que la première puisqu’il elle était dotée de 880F de prix et que l’on y disputait un championnat de Vaucluse. Le cercle sollicita une subvention de 200F qui fut acceptée. Les motifs avancés pour justifier ce vote ne sont pas surprenants : « considérant que l’organisation de courses de vélocipèdes attirera certainement à Carpentras un grand concours de population et sera par conséquent une source de profits pour ses habitants ».
Observons donc que la subvention fut accordée pour l’intérêt économique potentiel de la manifestation sans qu’on mette en avant d’autre mérite que ces vertus potentiellement spectaculaires et indirectement commerciales. Les premières manifestations carpentrassiennes authentiquement sportives furent donc perçues par le pouvoir municipal comme un spectacle banal au même titre qu’un bal ou un feu d’artifice et ne méritèrent d’encouragements que dans la stricte mesure de leur capacité à attiré un public étranger à la ville.
Un fête républicaine en 1892
Le centenaire du rattachement du Comtat Venaissin à la France fut l’occasion d’organiser une grande fête. Alfred Michel, maire Radical et son conseil municipal entendait bien donner un maximum d’éclat à cette célébration d’un rattachement qui ne s’était pas fait sans troubles, en particulier à Carpentras, où le parti anti-français était alors très fort et préférait parler d’annexion.
Toute les associations « sportives » carpentrassiennes y furent invitées. à commencer par l’Espérance Carpentrassienne, la toute nouvelle société de gymnastique (1889) qui fut sollicitée ainsi que la Société Hippique et le Véloce-Club. Cette cérémonie organisée loin du contexte religieux de la fête patronale de Notre Dame de Santé témoigna à Carpentras du profond changement que le « système sportif » (pour employer la terminologie que propose Sébastien Darbon) connut à la fin du XIX° siècle. Et, bien sur, dans le Comtat Venaissin les préoccupations politiques et en particulier l’affirmation de la légitimité de la République, n’en étaient pas absentes.
Le Véloce-Club.
Les cyclistes se virent offrir une subvention de 200F pour organiser une journée de courses. Les allées des platanes, lieu habituel des manifestations vélocipédistes, n’étaient pas disponibles étant occupées par d’autres installations de la fête. Le Véloce Club essaya pour l’occasion de transformer en vélodrome un terre-plein situé à la périphérie de la ville. L’installation ne devait pas être très commode car elle ne servit que deux fois. Nous n’avons pas trouvé de trace d’une quelconque contribution de la ville à la construction ou à l’équipement de ce vélodrome de fortune, ni dans le budget municipal ni dans la presse. Il est donc probable que le club en assuma seul la charge financière.
Notons au passage et sans nous en étonner que les budgets et les subventions que reçut la société hippique pour l’occasion étaient beaucoup plus importants. À la demande de la ville la société hippique avait organisé des courses exceptionnelles et avait obtenu 500F de subvention supplémentaire puisque ces festivités n’était pas prévues dans le calendrier habituel de la société. La négociation avait été assez habilement conduite par la société hippique. Elle proposait de construire des tribunes couvertes définitives à ses frais (5 500F environ avancés pour 15 ans par ses membres) si la ville lui accordait pendant 15 ans le privilège d’organiser des courses au moins deux fois par an, ce qui fut accepté par le conseil municipal.
La société conscriptive.
L’Espérance fit une modeste démonstration de gymnastique dans la cour du collège. C’était le fief de son moniteur général M.Mouyade, qui était depuis vingt ans le professeur de gymnastique du collège. La société fondée depuis deux ans à peine n’avait encore pas un effectif suffisant pour envisager des manifestations plus importantes.
Mais quelques années plus tard l’Espérance était capable de réaliser de véritables spectacles où les exercices qui deviendront plus tard les disciplines de la gymnastique sportive (anneaux, barres parallèles) et de l’haltérophilie, avaient la place d’honneur. En Mars 1895 l’Espérance choisit la scène du Théâtre Municipal pour faire une démonstration spectaculaire de son travail.
Même chose en 1898 avec cette fois-ci un spectacle assuré en commun avec la «Philarmonique de Carpentras ». On y vit alterner l’ouverture de Melpomène avec un mouvement d’ensemble de L’Espérance, une « Rêverie de mandoline » avec une démonstration aux épées de combats des maitres d’armes de la société, et clou du spectacle, des « poses plastiques » par les membres de l’Espérance, après le duo de « Mignon ».
1900: Irruption des sports à l’hippodrome.
Forte de son ancienneté et de ses relations privilégiées avec le pouvoir municipal, la Société Hippique se sentait chez elle à l’hippodrome de St Ponchon, un terrain qu’elle avait contribué à entretenir et où elle avait construit des tribunes à ses frais quatre ans plus tôt. Pourtant son hégémonie fut contestée lors de l’arrivée des nouveaux sports à Carpentras.
D’abord en 1895 ce fut le Véloce Club qui demanda à la Mairie l’autorisation d’établir un vélodrome sur le champ de course. On s’en doute, la réaction de la mairie fut extrêmement prudente: « le conseil municipal autorise le Maire à examiner s’il est possible de concilier les intérêts de la société hippique avec ceux du Véloce Club et de construire ce vélodrome sans nuire à l’éclat des courses et compromettre la sécurité publique ». Et il n’y eut pas de vélodrome à St Ponchon.
Mais en Octobre 1902 des collégiens disputèrent sur le champ de course, le premier match de Football-Rugby de l’histoire locale. Le journaliste qui rédigea le court compte-rendu de ce match avait, semble-t-il, trouvé tout naturel le choix de ce terrain et en tous cas ne fit pas de remarque à propos de cette nouveauté pourtant « historique ».
Pourquoi la ville avait-elle permis ce match sur ce terrain convoité et jusque là jalousement accaparé par la société hippique ? Il est possible qu’on ne lui ait tout simplement pas demandé d’autorisation officielle (rien ne figure dans les délibérations du conseil municipal), il est probable aussi que ces jeunes collégiens qui étaient certainement des « fils de bonnes familles », ne paraissaient pas très menaçants pour les forces politiques locales.
D’autre par la ville venait encore une fois de consentir des frais très importants pour l’arrosage de la piste (6 000F) et ne se sentait certainement pas débitrice envers la société hippique.
Enfin le Maire (Léopold Pécoul, Radical) n’avait certainement plus envie de ménager la société hippique; le Marquis des Isnards, membre éminent de la société hippique, venant de franchir une limite en se présentant à la députation sous le drapeau de l’antidreyfusarde Patrie Française.
Après ces débuts discrets, les équipes de Football-Rugby se multiplièrent à Carpentras. En 1904 on pouvait compter deux équipes au Vélo Carpentrassien, une au Sporting-Club, une autre à l’Olympique, auxquelles il faut ajouter celle des collégiens qui continuaient leur parcours contre les équipes des établissements scolaires de la région.
Et tous les matchs se jouaient sur le terrain de St. Ponchon que la ville mettait gratuitement à la disposition de ces clubs éphémères. Nous ne disposons d’aucune image ni d’aucun récit nous permettant de savoir dans quelle partie de l’hippodrome se jouaient les matchs. Il est raisonnable de penser que c’était au milieu de la piste, où nous savons d’après les « traités » signés par la ville avec le fermier chargé de l’entretien, qu’il y avait une prairie arrosée et donc de l’herbe verte, ce qu’il devait être très difficile de trouver ailleurs à Carpentras.
La ville n’avait probablement pas fait grand chose pour aménager ce terrain. Témoin ce communiqué de presse de 1910 qui signale au public du prochain match de Rugby qu’il devra « se tenir en dehors des fils de fer ». Si la ville avait fait quelques aménagements, ils n’avaient pas du lui couter bien cher !
Comme ailleurs les premiers matchs de ces pionniers n’attirèrent pas la foule et restèrent confidentiels. La presse locale ne donnait pas toujours les résultats des matchs, alors qu’elle consacrait des pages entières aux prestations de l’Espérance dans les rassemblements régionaux.
Mais petit à petit les spectateurs vinrent plus nombreux assurant à ce nouveau spectacle une part essentielle dans les loisirs des Carpentrassiens. Un nouveau pas fut franchi en 1910 où Carpentras-Sport avisa le public qu’il pouvait venir gratuitement assister aux entrainements, mais que les entrées étaient payantes pour les matchs contre les sociétés étrangères.
Pour le maire de Carpentras, tout se passa alors comme si un nouvel imprésario venait à son secours pour organiser les nouveaux spectacles dont elle avait précédemment la charge et qu’elle n’avait plus besoin de subventionner. L’arrivée des sports apparut alors comme une bonne affaire pour les finances de la ville. Nous savons aujourd’hui que ce soulagement fut de courte durée.
Jean-François BRUN
NB: les affiches dont les reproductions illustrent cet article sont conservées à « L’Inguimbertine. Bibliothèque-Musée » de Carpentras