Marcel Rol pionnier de la photographie Sportive

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Marcel Rol (Vaison 1876- Carpentras 1905)

À ceux qui s’intéressent à l’histoire du sport et en particulier à l’époque des pionniers, le nom de Rol est familier. Marcel Rol fut, en effet le fondateur en 1903 d’une des plus anciennes agences photographiques de France et les photos de l’agence Rol sont largement diffusées dans les ouvrages historiques qui traitent de cette époque1.

Les précieux témoignages historiques que constitue le fonds photographique Rol fait que nous connaissons beaucoup mieux l’histoire de l’agence que la biographie de son fondateur.

L’agence Rol qui fonctionna de 1904 à 19372a laissé une documentation photographique colossale. En 1961 la Bibliothèque Nationale put faire l’acquisition de cet ensemble très important de photographies de presse. Dominique Versavel conservatrice au département des estampes et de la photographie à la BnF et Jacques Gasté catalogueur du fonds Rol au département de la Conservation de la BnF ont rédigé dans le livre que Philippe Tétart a consacré aux pionniers du sport3une note, hélas trop courte, sur l’histoire de l’agence Rol.

Donnons leur la parole : L’agence Rol a laissé à la BnF plus de 125 000 plaques de verre traitant de tous les sujets abordés par les revues et quotidiens qu’elle fournissait en images : politique, diplomatie, justice, vie sociale…Mais à l’instar de l’agence Meurisse, sa cadette et concurrente, ses débuts furent majoritairement consacrés aux reportages sportifs. Les compétitions naissantes et notamment les courses cyclistes et automobiles, très suivies par Rol, constituent autant d’événements aisés à anticiper et à couvrir.

Marcel Rol mourut deux ans à peine après la création de son agence à l’age de 28 ans, le 17 Septembre 1905. Durant les deux brèves années qu’il passa à sa tête, l’agence qui venait d’élargir son activité aux journaux quotidiens s’était déjà largement imposée dans le milieu de la presse.

Les principaux clients de l’agence Rol sont les revues généralistes de sport (La Vie au Grand Air, Armes et Sports, le Sport Universel Illustré, La Presse Sportive…) mais elle fournit également la presse d’actualité (La Vie Illustrée, Le Touche à tout, L’Instantané, Le Petit Journal, le supplément illustré du Petit Parisien, L’Echo de Paris, Le Journal, La Revue Illustrée…) et les revues spécialisées (Le Yacht, L’Aérophile, La Revue de l’aviation…)4.

Après la mort de Marcel Rol l’agence poursuivi son extension grâce à la qualité de ses photographes et de ses administrateurs. Nous n’en avons pas la preuve, mais il est fort possible que l’affaire resta dépendante de la famille Rol, puisqu’une photo de l’agence montre Emile Rol (un oncle de Marcel), fort élégamment vêtu, sur le balcon de l’agence rue Richer5(photo 3) en 1909.

Le reportage sportif restera la principale activité de l’agence, mais pas la seule, et si elle se consacra surtout aux photos sportives, l’agence avait ses préférences et ne traita pas de façon égale l’ensemble des sports. Dans la centaine d’événements sportifs couverts chaque année par l’agence certaines disciplines furent privilégiées, en particulier le cyclisme, les sports mécaniques et l’athlétisme. À eux seuls ces sports représentent plus de la moitié de l’activité de l’agence entre 1908 et 19146.

L’agence prospéra donc jusque dans les années vingt où l’arrivée des grandes agences de presse américaine (Keystone, Wide World Photos, Associated Press) mit à mal le modèle économique quelque peu artisanal des agences photographiques françaises7.

En 1937 l’agence Rol et ses concurrentes les agences Paul Meurisse et Mondial Presse Photo fusionnèrent pour fonder l’agence SAFRA. C’est le fonds de cette agence qu’a racheté la Bibliothèque Nationale de France en 1961; ce qui lui permet de disposer de plus de 125 000 plaques de verre et 100 000 tirages résultat de l’énorme travail de l’agence Rol durant la période qui va de la mort de Marcel Rol en 1905 à la fin de l’agence Rol en 1937.

Mais que sait-on de Marcel Rol lui-même ?

Finalement peu de chose. Il est né à Vaison en 1876 et à trouvé la mort à Carpentras dans un accident de la route. La déclaration de son décès à l’état civil de Carpentras mentionne simplement qu’il exerçait la profession de photographe à Paris et qu’il était le fils de Denis Joseph Rol et de Geneviève Liffrand. On y apprend aussi qu’il avait vingt huit ans au moment de sa mort et qu’il était marié à Marie Magdeleine Praud.

Sur sa carrière de photographe nous en savons un petit peu plus puisque ses clichés figurent dans le fonds de la BnF et dans les nombreux journaux auxquels il collaborait alors (en particulier dans la Vie au Grand Air (VGA) le grand journal sportif de l’époque8).

Marcel Rol et le Ventoux.

La course de cote du Ventoux fut, dès sa première édition en 1902 un évènement essentiel de la saison des courses automobiles françaises. La Vie au Grand Air en assura la promotion avec enthousiasme et Marcel Rol qui était un enfant du pays ne pouvait manquer d’en faire le reportage photographique. Bien que cela soit plus que probable nous ne sommes pas certain que les photographies qui illustrent dans VGA les reportages de la course entre 1902 et 1905 soient de Marcel Rol. En effet, il n’était pas encore d’usage dans la presse d’attribuer chaque photo à son auteur9et elles étaient publiées le plus souvent sans aucun commentaire10. Je pense cependant avoir la preuve de sa présence en 1904, car sur une carte postale de la maison d’édition de mon grand-père Joseph Brun (photo 1), il me semble reconnaître sa silhouette et surtout son drôle de bonnet, le même qu’il portait sur la dernière photo qui fut prise de lui (photo 2).

Autorisez-moi maintenant une courte digression, car il ne manquerait plus qu’en publiant cette carte je me rende coupable de la même faute et que j’oublie de rendre hommage à son auteur De Clary qui était le photographe de la maison Brun et qui, pas plus que ses confrères, n’avait droit à la mention de son nom sur les nombreuses cartes postales qu’il a illustrées.

Grace à ses reportages photographiques et à leur publication dans la grande presse nationale, Marcel Rol fut donc un de ceux qui permirent que l’ascension du Ventoux devienne très vite la plus grande course de côte française et acquière même une réputation internationale11.

Hélas, en 1905, ce rendez-vous annuel avec notre montagne allait lui être fatal.

Plutôt que d’ajouter ma prose à celles des nombreux résumés de seconde ou troisième main que l’on trouve maintenant sur internet et ailleurs, je vais laisser la parole à des contemporains, les chroniqueurs des deux hebdomadaires carpentrassiens de l’époque, le Ventoux et l’Action Républicaine. Ces deux journaux concurrents n’était à peu près d’accord sur rien – et c’est peu dire – dans le domaine politique, mais ici leurs articles font du tragique accident de Rol des comptes-rendus très proches et concordants pour l’essentiel.

Donnons d’abord la parole à un témoin oculaire qui a fait le récit de ce terrible drame dans le journal « Le Ventoux » du 23 Septembre 190512. L’extrait suivant commence après le reportage sur la course elle-même :

Vers midi« … Quelques autos ont déjà repris la route de Marseille. Rougier est parti lui aussi13…. Un déjeuner est servi à l’hôtel Vendran. Le menu est parfait et des mieux composé, le service irréprochable14.

Puis la descente vers la plaine a lieu. Deux voitures sont encore en haut, la nôtre et la Mors de Collomb. Deux places restent libres : une sur la Rochet-Schneider, en lapin, l’autre sur la Mors.

Deux journalistes photographes parisiens, Rol de la « Vie au Grand Air », et Bertrand du « Journal » et des « Sports » les jouent à pile ou face. Rol gagne et monte avec Collomb, le malheureux ! Il voulait faire de la vitesse….

Une voiture de course a démarré en vitesse avec un bruit d’enfer, soulevant derrière elle un gros nuage de poussière. Nous avons quitté nos compagnons de route. Nous devons les retrouver tout à l’heure.

À trois kilomètres environ près de Carpentras, une foule est rassemblée devant la ferme Robert, quartier du Martinet. On nous crie « Arrêtez ! un accident est survenu ». Nous descendons de machine et pénétrons dans la ferme. Un terrible et lugubre spectacle nous y attends. Sous un hangar, près d’une meule de foin, un homme est étendu. C’est Rol. Il est mort. 15»

Donnons maintenant la parole à l’Action Républicaine dont le récit n’est guère différent, mais qui nous donne quelques détails supplémentaires :

« …Rol prit place à côté de Collomb, le mécanicien nommé Vendre était assis à leurs pieds(photo 2)... à deux kilomètres de notre ville au quartier des aqueducs, le mauvais état de la route occasionna une forte secousse à la machine, un pneu fit explosion et la crevaison fit obliquer l’automobile qui vint buter contre le talus en faisant panache. Les voyageurs furent projetés à une certaine distance. Rol frappa de la tête contre le volant de la machine16et fut tué sur le coup… Relevés par les témoins de ce terrible accident ils furent transportés à la ferme de M.Bernard, jardinier, située au bord de la route, où on leur prodigua des soins pendant qu’on alla chercher à la ville les docteurs Cavaillon et Michel. Les deux praticiens pansèrent les blessés qui furent transportés ensuite à l’hôpital de notre ville ainsi que le corps de l’infortuné photographe. Vendre fut le moins endommagé (sic), Collomb, avait une fracture du crane17. Tous les deux ont pu peu de jours après, regagner leur domicile.

Marcel Rol était né à Vaison et âgè de vingt huit ans. Marié depuis quelques mois il laisse une veuve sur le point de devenir mère. Ses funérailles ont eu lieu mardi matin à 8h et ½ au milieu d’une nombreuse assistance. Le deuil était conduit par M. Liffrand oncle du défunt et plusieurs membres de sa famille dont certains habitent notre ville.

Remarquée une superbe couronne de l’Automobile Club Vauclusien et dans l’assistance des délégation du conseil municipal, de l’Automobile Club Vauclusien, de la commission des courses, de Bédoin, etc.

Le convoi s’est dirigé de l’hôpital à la porte d’Orange, où la bière a été placée sur une voiture pour être transportée à Sablet où a eu lieu l’inhumation.18 »

Les accidents n’étaient pas rares dans les courses de cette époque. On se souvient qu’en 1903 les autorités avaient arrêté la course Paris-Madrid avant son terme, en raison du grand nombre d’accidents et de victimes. Les nombreux spectateurs du Ventoux n’auraient peut-être pas été surpris si la sortie de route était survenue durant la montée, pendant la course. Mais ici, alors même que les organisateurs se félicitaient du bon déroulement de l’épreuve et fêtaient son succès dans la bonne humeur générale, le drame eut un retentissement considérable. Les journaux nationaux avec lesquels Marcel Rol collaborait, publièrent des articles déplorant sa mort : « LaVie au Grand Air » publia une photo de la voiture de Collomb juste avant la descente sur la plateforme du sommet (photo 2), et « Les Sports Universels » un portrait de Rol (photo 4).

Avec un à propos discutable, l’Action Républicaine en profita pour stigmatiser le mauvais état des routes et réclamer leur amélioration : « .. il est permis d’admettre que l’état défectueux de la route ait pu contribuer à l’accident que nous avons à déplorer, nous nous permettons de rappeler que plus d’une fois nous avons adressé des réclamations des ponts et chaussées, lui signalant cet état de choses. Dans l’arrondissement de Carpentras et plus particulièrement aux approches de notre ville, les routes sont à ce point mal entretenues que les automobilistes se les désignent et les mettent à l’index en conseillant un crochet pour éviter Carpentras. Les automobiles ne sont pas les seules voitures roulant sur les routes et si celles ci sont dans un état déplorables, tous ceux qui les fréquentent ont à en souffrir. »

La municipalité ne resta pas insensible non plus à l’émotion des Carpentrassiens et le maire Léopold Pécoul voulant montrer sa volonté de contrôler un peu mieux les nouveaux dangers que créaient les automobilistes prit un arrêté énergique pour ne pas dire martial ! :

article 1 – La vitesse des vélocipèdes, automobiles et autres véhicules ne pourra excéder l’allure d’un cheval au petit trot attelé ou monté et, en aucun cas celle de 12 km à l’heure, dans le périmètre de l’octroi de Carpentras19. Cette vitesse devra être ramenée à celle d’un homme au pas dans les passages étroits ou encombrés et aux tournants des rues et places.

article 2 – Tout conducteur d’automobile et autre véhicule est tenu de ralentir et même d’arrêter le mouvement de son véhicule lorsque, à son approche, les chevaux attelés ou non, manifestent des signes de frayeurs et toutes les fois que son passage pourra être une cause de désordre, d’accident ou de gène pour la circulation.

article 5 – Les conducteurs d’automobiles auront seuls le droit de signaler leur approche, en cas de besoin, au moyen d’une trompe, conformément à l’article 15 du décret du 10 Mars 1899 ; mais il leur est interdit de se se servir de cette trompe pour se faire ouvrir un passage dans les foules ou écarter les personnes ou obstacles quelconques qui se trouvent devant eux et faciliter ainsi leur passage au détriments des autres véhicules…. »20

Il ne faudrait pas que cet arrêté donne l’impression que les Comtadins d’alors vivaient dans la crainte du progrès et la terreur de la modernité. Bien au contraire c’est de cette époque que date leur engouement, jamais démenti depuis, pour les sports mécaniques, les courses et les rallyes automobiles, les compétitions de moto-ball et les moto-cross.

Marcel Rol aura donc été un des héros tragique des premiers temps de cette aventure. À l’heure où les commémorations de toutes sortes fleurissent dans notre pays il serait peut-être bon que les Comtadins pensent à honorer son souvenir.

1Philippe Tétart a pu écrire un ouvrage très complet sur les pionniers du sport en n’utilisant que des photos de gonds Rol de la BnF. ( Les pionniers du sport, La Martinière & BnF éditions, Paris, 2016.)

2L’agence Rol ayant été fondée le 24 Décembre 1903, sa production en 1903 fut vraisemblablement très mince.

3D.Versavel, J.Gasté op. Cit. in P.Tétart op. Cit.

4Ibid.

5En 1908 l’agence Rol avait quitté sa première adresse du 37, rue Joubert et s’était transportée au 4, rue Richer qui restera son adresse définitive.

6D.Versavel, J.Gasté op. Cit. in P.Tétart op. Cit.

7M.Chermette,Du New York Times au Journal. Le transfert des pratiques photographiques américaines dans la presse quotidienne française. In Le temps des médias. N° 11, hiver 2008/2009.

8Dont le Conservatoire du Patrimoine Sportif possède de nombreux volumes.

9C’est peut-être en raison même de ce manque de respect que Marcel Rol et son confrère Louis Meurisse fondèrent leur propre agence.

10À de très rares exceptions près comme, par exemple, la revue « Les sports modernes ».

11C’est justement en 1905 que l’Italien CAGNO sur FIAT devint le premier vainqueur étranger.

12L’article est signé de deux initiales E.C. Nous savons aussi qu’il écrivait dans l’hebdomadaire avignonnais « Le Mistral » et qu’il faisait partie du groupe d’officiels monté dans une Rochet-Schneider.

13Vainqueur en 1904 sur Turcat-Mery.

14Lors de la première édition le célèbre aubergiste avait été surpris par le succès de l’épreuve et l’abondance des convives et il avait du essuyer quelques critiques.

15Le ventoux, 22 Septembre 1905, n°199.

16Pour le Ventoux, il frappa contre un arbre. Maurice Louche publie une photo de la Mors de Collomb sur les lieux même de l’accident. (M.Louche, Mont Ventoux, 1902-1976, édité par l’auteur.1984, p 47.)

17Un diagnostic peu compatible – si je peux me permettre – avec la phrase suivante de l’article.

18L’Action Républicaine, 27 Septembre 1905.

19Le mécanicien Vendre déclara que la Mors de Collomb roulait à plus de 100 km/h au moment de l’accident.

20Je ne suis pas juriste et je ne voudrai pas donner un espoir inconsidéré à ceux qui, de nos jours déplorent l’invasion des villes par les automobiles, mais je ne suis pas sur que cet arrêté municipal ait été abrogé !